Impression(s), soleil

du 10 septembre au 08 octobre 2017

Peinte en 1872 au Havre, depuis une chambre de l’hôtel de l’Amirauté situé aux 41-45 Grand-Quai, l’œuvre de Claude Monet, Impression, soleil levant, revient en 2017 pour la première fois de son histoire dans la ville qui l’a inspirée. C’est aussi la première fois qu’elle y est exposée, grâce à la générosité du musée Marmottan-Monet qui en est le propriétaire depuis 1940. Sans s’attarder ici sur les liens qui unissent Claude Monet au Havre, il est, dans le contexte festif qui permet le retour de cette œuvre, assez édifiant de rappeler que le peintre exposa de son vivant dans cette ville, et que l’accueil qui lui fut réservé ne fut pas toujours enthousiaste.

Des débuts controversés

Claude MONET (1840-1926), Vue de Rouelles, 1858, huile sur toile, 46 × 65 cm. Japon, Saitama, Museum of Moderne Art, dépôt du Marunuma Art Park, Asaka
Claude MONET (1840-1926), Vue de Rouelles, 1858, huile sur toile, 46 × 65 cm. Japon, Saitama, Museum of Moderne Art, dépôt du Marunuma Art Park, Asaka
En 1858, alors qu’il n’a que dix-huit ans, Monet présente, aux côtés d’Eugène Boudin, pour la première fois à l’exposition de la Société des amis des Arts, un paysage peint à Rouelles. La critique publiée dans le Journal du Havre sous la plume de Félix Santallier n’évoque Monet que pour dire que sa « Vue de Rouelles participe des qualités de M. Boudin » et souligner ainsi sa dette envers son aîné.

En 1868, Monet participe à l’exposition maritime internationale avec cinq peintures. L’artiste ne fait pourtant pas l’unanimité et ses œuvres sont raillées et caricaturées dans le journal satirique L’Epâtouflant.
 
SOCK, Claude Monet, Le printemps. Potage printanier in La Revue comique. Salon havrais, Le Havre, Lepelletier, 1880. BMLH
SOCK, Claude Monet, Le printemps. Potage printanier in La Revue comique. Salon havrais, Le Havre, Lepelletier, 1880. BMLH
En 1880, Monet envoie, depuis Vétheuil où il s’est installé pour échapper à ses créanciers, trois toiles à l’exposition de la Société des amis des Arts. L’accueil fait aux œuvres de Monet est très réservé. La Revue comique publie une nouvelle caricature de Sock, tournant en dérision la toile intitulée Le Printemps, légendée pour l’occasion Potage printanier. Mais la critique la plus acerbe paraît dans le Journal du Havre par Émile Prat : « Nous arrivons, maintenant, à M. Monet, l’excentrique, le pyramidal M. Monet, qui, lui aussi, a du talent ; mais hélas ! – trois fois hélas ! – on ne le dirait guère en voyant ce qu’il nous a envoyé. Tous ceux qui ont visité le Salon ont remarqué ce tableau, dont le ciel est rose, dont les arbres sont roses, dont la terre est rose. M. Monet a cru faire un tour de force en accomplissant cette mystification ; il n’est parvenu qu’à faire rire de lui. Il a intitulé ce pot de pommade : Le Printemps… C’est bon, tout au plus, à mettre dans un salon de coiffure. (...) ».

Le temps de la reconnaissance

Claude MONET (1840-1926), Le Port du Havre, effet de nuit, 1872, huile sur toile.
Claude MONET (1840-1926), Le Port du Havre, effet de nuit, 1872, huile sur toile.
Le ton est tout différent en 1906, lorsque Monet présente à la première exposition du Cercle de l’art moderne deux toiles déjà anciennes : Effet de nuit, peint la même année qu’Impression, soleil levant et Côteaux d’Orgemont de 1875. L’initiative prise par de grands collectionneurs havrais et de jeunes artistes (Dufy, Friesz, Braque…) pour créer cette association ayant pour but la promotion de l’art moderne au Havre n’est pas sans provoquer la polémique, mais l’accueil réservé aux vieux maîtres de l’impressionnisme, Renoir et Monet, qui y participent, est naturellement un sujet de fierté.

Tout auréolé du prestige de ses expositions récentes à Paris et de sa stature internationale, Monet est recherché et ses œuvres, dont les prix atteignent déjà des records, très convoitées.

La presse locale ne tarit pas d’éloges sur « notre ancien concitoyen, le plus grand peintre de l’heure présente, le prestigieux symphoniste des Cathédrales, des Meules, des Peupliers, l’évocateur des mystérieuses rêveries sur Westminster, le peintre qui, depuis trente années, rénove sans cesse son esprit, ses sujets, et sa technique même, et qui semble chaque fois à tel point se surpasser, qu’on ne devine plus de terme à cette perpétuelle et infatigable évolution… ». Le journaliste du Journal du Havre formule le souhait « qu’un jour prochain permette, dans la ville où vécut autrefois Claude Monet, la joie d’admirer un ensemble de ses œuvres, et que notre ville enfin rachète par un hommage équitable une fâcheuse indifférence qui, plus longtemps affirmée, attirerait sur elle d’ici peu l’étonnement et l’admissible malveillance de l’histoire de l’art ».

Les six œuvres de Claude Monet conservées au MuMa

Les premiers Monet à entrer dans les collections

Quatre ans plus tard, les efforts des membres de la commission du musée les plus acquis à l’art moderne, conjugués à ceux de la municipalité, sont couronnés de succès. Monet, dont l’attachement à la ville qui l’a vu grandir et lui a inspiré le sujet de près de quarante toiles restait sincère, décide de donner trois œuvres au musée.
Les Falaises de Varengeville (1897), Le Parlement de Londres, effet de brouillard (1903) et Les Nymphéas (1904) intègrent donc les collections du musée en 1911, enrichissant ainsi un fonds de peinture moderne dont le socle avait été posé en 1900 par le don de deux-cent-quarante œuvres provenant de l’atelier d’Eugène Boudin, mort deux ans plus tôt. Il est d’ailleurs possible que Monet ait souhaité, de cette manière, inscrire ses pas dans ceux qui avaient été à l’origine de cette donation pour que son nom et celui de Boudin restent associés dans le musée de cette ville où ils avaient commencé à peindre côte à côte.

Consciente du caractère exceptionnel de ce don, la Ville du Havre n’en tient pas moins à exprimer sa reconnaissance au maître de Giverny en lui allouant une « compensation » financière de 3 000 francs.

Les œuvres données ont manifestement été choisies par Monet lui-même dans son atelier. Toutes trois appartiennent à des séries récentes et ne présentent pas de lien particulier avec Le Havre, sauf à considérer Le Parlement de Londres enveloppé de brume au soleil couchant comme un pendant contemporain et lointain d’Impression, soleil levant donné comme en clin d’œil par l’artiste.

C’est un geste fort que fait Monet et il honore réellement la Ville en ne retenant que des œuvres importantes. Falaises de Varengeville (1897), postérieure seulement de quatre ou cinq ans à la série des Cathédrales, avait été présentée à l’exposition Monet chez Georges Petit, en 1898, avec les autres peintures de la série des falaises de Pourville et de Varengeville. Le Parlement de Londres faisait partie des trente-sept toiles présentées en 1904 à la galerie Durand Ruel dans l’exposition « Claude Monet. Vues de la Tamise à Londres », qui avait remporté un immense succès, tout comme Les Nymphéas, exposés en 1909 dans le même lieu qui bénéficièrent d’un accueil triomphal.

Deux toiles issues de donations importantes

Claude MONET (1840-1926), Impression, soleil levant, 1872, huile sur toile, 50 × 65 cm. Paris,  Musée Marmottan Monet, don Victorine et Eugène Donop de Mouchy, 1940. © Bridgeman Images
Claude MONET (1840-1926), Impression, soleil levant, 1872, huile sur toile, 50 × 65 cm. Paris, Musée Marmottan Monet, don Victorine et Eugène Donop de Mouchy, 1940. © Bridgeman Images
Le retour d’Impression, soleil levant ne se produit donc pas dans un territoire où l’histoire du lien de Claude Monet à cette ville se serait, par la force du temps, distendu. Le MuMa – musée d’art moderne André Malraux – conserve aujourd’hui six toiles de cet artiste et leurs dates et modes d’entrée dans les collections racontent à elles seules une histoire.

Deux d’entre elles ont appartenu à des amateurs d’art havrais, Charles-Auguste Marande et Olivier Senn, et ont été léguées ou données au musée par eux ou par leurs descendants, en même temps que l’ensemble de leur collection. Elles reflètent donc l’ouverture d’esprit et le goût pour une peinture moderne qui caractérisent un milieu restreint mais très dynamique et entreprenant de grands négociants havrais.

Soleil d’hiver, Lavacourt (1879-1880) est emporté par Marande en 1905 à l’Hôtel Drouot. La Seine à Vétheuil (1878), elle, entre en possession d’Olivier Senn beaucoup plus tardivement, vers 1931, après avoir changé à plusieurs reprises de mains et être, semble-t-il, passée entre celles de Georges de Bellio, le second propriétaire d’Impression, soleil levant !

Un achat exceptionnel par la ville du Havre

La sixième toile conservée au MuMa est entrée dans les collections en 1994. Fécamp, bord de mer (1881) a été achetée par la Ville du Havre avec l’aide exceptionnelle du FRAM Haute-Normandie et le Fonds du Patrimoine. C’est donc la première œuvre de Monet acquise par la municipalité, à une date où les prix du marché de l’art   permettaient encore à un musée de province de se porter acquéreur de telles œuvres.

Fécamp, bord de mer, peinte en 1881, illustre chronologiquement un nouveau tournant dans la carrière artistique de Monet. Au cours des années 1880, Monet renoue avec la côte normande, séjournant d’abord aux Petites Dalles avec son frère, puis revenant en 1881 à Fécamp où il exécute cette toile. La côte rocheuse balayée par les vents, érodée par la force des vagues, le spectacle constamment changeant de la mer et du ciel lui inspirent de nombreuses toiles au cours des années suivantes. Plus tard, revenant sur ce même littoral dans les années 1890, Monet peindra des sujets identiques, cette fois-ci en série, comme en témoigne Falaises de Varengeville, de nos collections.

Constitution d'une collection publique

Claude Monet dans sa maison de Giverny, vers 1915/1920. Coll. Roger Viollet, Paris
Claude Monet dans sa maison de Giverny, vers 1915/1920. Coll. Roger Viollet, Paris
Les six peintures du MuMa illustrent donc d’abord une histoire, celle de la progressive constitution d’une collection publique. Cette histoire repose sur quelques individus, tendus vers un même but.

L’artiste en premier lieu bien sûr, mais également des collectionneurs mus par le désir de partager leur amour de l’art avec un public le plus large possible. Charles-

Auguste Marande
prend des dispositions testamentaires en 1929 pour léguer ses œuvres au musée. À son décès en 1936, elles intègrent donc les salles du musée, selon un plan d’accrochage établi par l’amateur.
Hélène Senn-Foulds, petite fille d’Olivier Senn, décide en hommage à son grand-père, de donner sa collection. L’œuvre de toute une vie vient donc enrichir en 2004 le fonds du MuMa, qui devient dès lors la première collection impressionniste conservée dans un musée de province en France.

Enfin, la volonté manifestée par la municipalité au début du xxe siècle d’ouvrir les collections à l’art moderne et les efforts entrepris pour y parvenir trouvent leur pendant, presque cent ans plus tard, dans l’acquisition majeure, et financièrement la plus importante jamais réalisée dans l’histoire du musée, de Fécamp, bord de mer.

Les six œuvres de Claude Monet ainsi réunies offrent un panorama forcément partiel de la carrière du peintre mais elles forment néanmoins deux ensembles cohérents et complémentaires. Le premier composé des œuvres les plus anciennes (Vétheuil, Lavacourt et Fécamp) se rattache aux années des expositions impressionnistes, de la reconnaissance, mais également à une période douloureuse pour l’artiste. Le second, plus récent (1897, 1903 et 1904) est lié à la maturité et à la consécration, à  Giverny où Monet qui a acquis sa propriété commence à aménager son atelier et son jardin, et bien sûr à la peinture en série que l’artiste privilégie à partir de 1890, puisqu’autant Varengeville que Londres ou Les Nymphéas appartiennent à des cycles d’œuvres exposées comme des ensembles.

On remarquera enfin que sur les six peintures, cinq ont été inspirées par le paysage normand, ce qui n’est pas surprenant quand on sait quelle part la Normandie représente dans la totalité de l’œuvre de Monet.
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