L’estuaire de la Seine, l’invention d’un paysage

L’estuaire de la Seine, avec sa lumière très particulière et son paysage qui se dilate pour se fondre dans l’infini de la mer prête son cadre à l’invention de ce que les critiques vont appeler « la nouvelle peinture ». Les années 1850 voient les artistes en quête de nature affluer vers l’embouchure de la Seine, grâce aux nouvelles liaisons ferroviaires (Le Havre en 1847, Honfleur en 1860), qui mettent Paris à quelques heures de la mer.

De part et d’autre de l’estuaire, au Nord, Le Havre présente l’aspect d’un port en train de se moderniser, d’une ville en pleine expansion économique, dotée depuis 1845 d’un musée soutenu rapidement par des collectionneurs fortunés, tous liés au négoce du port. Au sud, Honfleur offre le visage d’un petit port pittoresque adossé à une campagne verdoyante.

Natif d’Honfleur, mais travaillant dans sa jeunesse au Havre, Eugène Boudin joue un rôle fondamental. Il renseigne les artistes venus découvrir la région, les met en contact les uns avec les autres. La ferme Saint-Siméon aux portes d’Honfleur devient le lieu de rendez-vous où les jeunes artistes qui ont pour noms Jongkind, Courbet, Daubigny… se retrouvent autour de Boudin, peignent côte à côte en plein air et s’essayent à de nouvelles recherches. Chaque été, l’auberge environnée de pommiers et offrant une vue splendide sur la baie devient le lieu de rassemblement de très nombreux artistes, un haut lieu de création artistique et de vie simple et fraternelle. La campagne bocagère des environs, avec ses prés verts, ses troupeaux de vaches, offre d’innombrables sujets aux peintres.

Mais dans ce paysage entre terre, mer et fleuve, où le ciel et la mer réservent des effets sans cesse renouvelés, l’attention des peintres se porte désormais sur les éléments les plus changeants : le ciel et les nuages, la mer et ses vagues. Boudin cherchera toute sa vie à saisir les nuages et Courbet inventera sur la côte normande des « paysages de mer », non plus des marines au sens traditionnel du terme, mais des paysages où le cadrage de plus en plus serré sur le motif par essence insaisissable de la vague atteint à la puissance de l’abstraction.