À l'école de Charles Lhullier (1824-1898)

du 11 décembre 2021 au 13 février 2022

Il faut remonter au 12 juin 1800 pour trouver les origines de l’école d’art du Havre. Le souci qui préside alors à la création de l’école gratuite de dessin par l’architecte Antoine-Marie Lemaître n’est pas tant de former de véritables artistes que d’éduquer l’oeil et la main d’ouvriers par l’étude du dessin. Ce souci perdure tout au long du XIXe siècle et au début du XXsiècle : « Pour devenir un bon ouvrier, il faut avoir traversé une école de dessin, et celui qui n’a pas l’amour de la ligne n’est pas un ouvrier, c’est un manoeuvre ». Les élèves qui se destinent à une carrière artistique ne constituent véritablement qu’une petite part de l’effectif.
À l'école de Charles Lhullier (1824-1898)
Il en marque l’histoire sans doute plus par sa personnalité que par l’enseignement qu’il y délivre, somme toute conforme à ce qui se pratiquait à cette époque. Othon Friesz se souvient en ces termes de son premier entretien avec Lhullier : “Tu feras d’abord de la bosse, des têtes en plâtre. Quand tu sauras faire la tête, tu feras le corps entier. Puis, dans deux ans, tu feras du modèle vivant. Quant à la peinture, nous en reparlerons plus tard […]. J’étais atterré : j’avais cru qu’aussitôt entré à l’école, j’allais apprendre à barbouiller des toiles. Au lieu de cela, c’était un chemin pénible et long que le père Lhullier offrait d’un ton placide et résolu à mon appétit pourtant si impatient”.

Charles Lhullier prend la tête de l’école de dessin en 1871
 
Othon FRIESZ (1879-1949), Portrait de Charles Lhullier, vers 1896, huile sur toile, 46 x 30 cm. Le Havre, musée d'art moderne André Malraux, don de Madame E.Othon Friesz. © 2021 - MuMa Le Havre - Charles Maslard
Othon FRIESZ (1879-1949), Portrait de Charles Lhullier, vers 1896, huile sur toile, 46 x 30 cm. Le Havre, musée d'art moderne André Malraux, don de Madame E.Othon Friesz. © 2021 - MuMa Le Havre - Charles Maslard
Lhullier se révèle remarquable pédagogue et s’attache à révéler la personnalité de ses élèves sur lesquels il exerce une profonde attraction teintée d’admiration.

Lhullier est de ces peintres qui doivent leur notoriété aux élèves auxquels il a enseigné. À l’évocation du nom de Charles Lhullier viennent en effet immédiatement à l’esprit ceux de Raoul Dufy et d’Othon Friesz mais également ceux d’Henri et René de Saint-Delis, de Georges Binet ou de Raymond Lecourt, à la renommée plus régionale. C’est sans compter sur ceux d’artistes moins connus, parfois découverts à l’occasion de cette exposition. Il s’agit en effet pour beaucoup d’une véritable (re)découverte : Maurice Vieillard, Robert Vallin, Louis-Arthur Soclet, Georges Dufour ou Jules Ausset notamment.

Évoquer les élèves de Lhullier revient à ressusciter la vie culturelle havraise de l’entre-deux-guerres. Deux d’entre eux deviendront des décorateurs de théâtre, travaillant pour les revues des Folies Bergère ou des décors éphémères (Albert Roussat et Louis Saraben). D’autres exploreront les voies ouvertes par la photographie (Jules Lalouette, Charles Potier). Plusieurs s’essaieront avec succès à l’illustration (Géo Dupuis, Maurice Millière) ou à la caricature (Louis-Arthur Soclet, Albert René) quand d’autres deviendront des peintres animaliers reconnus (Frédéric Rötig, Georges Fauvel ou Raymond Lecourt).
 
Anonyme, L’École des beaux-arts du Havre, vers 1895, photographie. Collection Fanny Guillon-Laffaille. © Archives Fanny Guillon-Laffaille
Anonyme, L’École des beaux-arts du Havre, vers 1895, photographie. Collection Fanny Guillon-Laffaille. © Archives Fanny Guillon-Laffaille
Cette exposition clôture le cycle inauguré par Georges Braque : l’espace en 1999, Friesz, Le fauve baroque en 2007, poursuivi par Raoul Dufy : du motif à la couleur en 2003 et Raoul Dufy au Havre en 2019, en s’interrogeant sur le rôle joué par l’école d’art du Havre.

Elle permet de mettre en avant l’héritage de Charles Lhullier que revendiquent avec force nombre de ses élèves.
 
Louis Arthur SOCLET, Le Messager d’amour, 1884, huile sur toile, 136,3 x 105,2 cm. MuMa Le Havre, Musée d’art moderne André Malraux. © MuMa Le Havre / Charles Maslard
Louis Arthur SOCLET, Le Messager d’amour, 1884, huile sur toile, 136,3 x 105,2 cm. MuMa Le Havre, Musée d’art moderne André Malraux. © MuMa Le Havre / Charles Maslard
Si Apollinaire parle de Friesz comme le chef de l’école havraise, le terme semble quelque peu usurpé. Ce sont plutôt des parentés, des centres d’intérêt communs que cette exposition permet de mettre en avant. L’héritage de l’impressionnisme se fait ainsi sentir dans les œuvres de jeunesse de Friesz ou de Dufy, mais également chez leurs aînés Georges Fauvel (1861-1911) ou François Edouard Lamy (1856-1905).

Une section de l’exposition met par ailleurs en avant l’intérêt de plusieurs élèves pour le monde du travail traité en peinture avec réalisme et permet un rapprochement fructueux d’œuvres de Raoul Dufy et de Gaston Prunier autour du quai au charbon au Havre, mais également entre ce dernier et Maurice Vieillard, dont le trait est mâtiné de l’influence de Théophile Alexandre Steinlen.

L’exposition évoque les trois facettes de la vie de Lhullier : sa production artistique, son rôle de professeur et celui de conservateur de musée. À partir de 1884, Lhullier cumule les fonctions de directeur de l’école d’art avec celle de directeur du musée des beaux-arts. Un aperçu en est donné par l’accrochage au sein des collections permanentes d’œuvres achetées par lui durant son mandat, dont Méléagre et Atalante d’Abraham Janssens ou Le Bassin de Deauville d’Eugène Boudin.
 
Raoul DUFY (1877-1953), Étude d’antique, 1894, fusain sur papier, 60,7 × 46,2 cm. MuMa musée d'art moderne André Malraux, Le Havre, don de la galerie Hamon, 1977. © MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn © ADAGP, Paris 2019
Raoul DUFY (1877-1953), Étude d’antique, 1894, fusain sur papier, 60,7 × 46,2 cm. MuMa musée d'art moderne André Malraux, Le Havre, don de la galerie Hamon, 1977. © MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn © ADAGP, Paris 2019
L’exposition regroupe un corpus de plus de quatre-vingts œuvres tirées pour l’essentiel des collections municipales, MuMa ou Bibliothèque municipale. Elle a été rendue possible grâce aux partenaires institutionnels que sont les MNAMCCI Centre Pompidou, le musée Marmottan Monet, les musées de Dieppe, de Granville, d’Honfleur et de Pont-Audemer et aux prêts de collections particulières. Elle a donné lieu à une importante campagne de restauration portant sur plus de quarante œuvres, ainsi que de ré-encadrement ou de restauration des cadres d’origine. Elle donne à voir plusieurs œuvres inédites ou rarement vues depuis des décennies.

Un catalogue, édité à cette occasion, fait le point sur la recherche autour d’une cinquantaine d’élèves identifiés. Ces artistes, dont les noms étaient pour certains tombés dans l’oubli, ont peu à peu pris chair et se sont incarnés à la fois dans les œuvres qu’ils ont laissées et dans les réseaux d’amitié qu’ils ont tissés et dans les critiques de la presse.
 
 
Charles LHULLIER dit aussi LHUILLIER (1824-1898), 1861, huile sur toile, 37 x 24 cm. Paris, musée Marmottan Monet, legs Michel Monet, 1966. © Musée Marmottan Monet, Paris
Charles LHULLIER dit aussi LHUILLIER (1824-1898), 1861, huile sur toile, 37 x 24 cm. Paris, musée Marmottan Monet, legs Michel Monet, 1966. © Musée Marmottan Monet, Paris
Fils d’un marin originaire de Granville, Charles Lhullier (1824-1898) arrive au Havre à l’âge de dix-huit mois. Après avoir brièvement suivi les traces paternelles, il devient peintre décorateur et suit en même temps les cours de Jacques-François Ochard, premier maître de Claude Monet, à l’école municipale de dessin de la ville.

L’histoire retient que, exact contemporain d’Eugène Boudin, Lhullier échoue face à ce dernier dans l’obtention d’une bourse pour poursuivre ses études à l’École nationale des beaux-arts. Il part néanmoins à Paris, grâce à l’appui de la famille Becq de Fouquières, et se forme alors auprès du peintre néo-classique, François Édouard Picot, côtoie Claude Monet qu’il est le premier à portraiturer à deux reprises, puis assiste le peintre académique Isidore Pils, spécialiste de scènes militaires.
 
Charles LHULLIER dit aussi LHUILLIER (1824-1898), Le Café des Turcos, vers 1867-1868, huile sur toile, 100,5 x 140 cm. MuMa Le Havre, Musée d’art moderne André Malraux. © MuMa Le Havre / Charles Maslard
Charles LHULLIER dit aussi LHUILLIER (1824-1898), Le Café des Turcos, vers 1867-1868, huile sur toile, 100,5 x 140 cm. MuMa Le Havre, Musée d’art moderne André Malraux. © MuMa Le Havre / Charles Maslard
Admirateur de Chardin et de Poussin, Lhullier est l’ami de Johan Jongkind avec qui il peint aux environs du Havre. Il reconnaît : « l’impressionnisme vient trop tard pour moi » . Il expose à plusieurs reprises au Salon où l’État lui achète, en 1864, son Départ pour le pâturage. Connu pour ses scènes militaires et ses scènes de genre, il exécute en 1867-1868 son morceau de gloire, Le Café des Turcos, (une scène représentant les tirailleurs algériens stationnés dans la caserne Bonaparte à Paris) qui lui vaut une médaille d’or à l’Exposition maritime internationale du Havre en 1868. Peu après, Charles Lhullier revient s’installer au Havre où il devient directeur de l’école municipale des beaux-arts en 1871, fonction qu’il cumule à partir de 1884 avec celle de directeur du musée des beaux-arts qu’il réorganise profondément. Il meurt en septembre 1898, sans postérité naturelle mais non sans postérité artistique. Ses obsèques réunissent nombre de ses anciens élèves, parmi lesquels Édouard Lamy, Marcel Bénard, Jules Ausset, Louis Saraben ou Louis-Arthur Soclet.
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