Des hommes dans la ville

du 08 mars au 18 mai 2002

Photographies françaises et américaines des années 1940-1960
Au moment où le Havre connaît l'épisode tragique de sa destruction (1944) puis la grande période de sa reconstruction où Auguste Perret se voit confier se chantier prestigieux, qu'il réfléchit et met en œuvre un programme ambitieux, se défendant de faire ne ville à l'américaine, quels regards les photographes portent-ils, de part et d'autre de l'Atlantique sur la ville ?
Des hommes dans la ville
La ville américaine, en plein essor, toute « urbaine » avec sa structure en quartiers, offre l’image d’un paysage saturé où la foule apparaît toute anonyme, où les hommes, saisis dans leur singularité, renvoient a une réalité sociale et économique sans complaisance. 
A l’opposé, la ville française (Paris ou Lyon) émerge encore de la campagne toute proche, dans ses coins de banlieue entre cité et nature. Les hommes, les femmes mais ainsi les enfants sont perçus dans leur dimension humaine et poétique comme ce petit garçon de Robert Doisneau, L’enfant papillon, " ivre du sirop de la rue ". La misère, l’âpreté de la vie ne sont pas loin mais le regard d’un Doisneau se pose sur cette humanité avec une douceur et une attention infinies. 
Les soixante-trois photographies sélectionnées dans les collections du Fonds national d'art contemporain - FNAC témoignent de ces regards d'artistes, d'approches originales dans des contextes particuliers.

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

L'exposition, Des hommes dans la ville, regroupant des photographies françaises et américaines autour des années 1940-1960, est présentée au musée Malraux du 8 mars au 13 mai 2002. Outre les dix célèbres photographes d'Amérique dont une partie des œuvres a été montrée cet hiver au musée des Beaux-Arts de Nantes, s'ajoutent trois importants photographes de France : René-Jacques, Robert Doisneau, Sabine Weiss, représentants de l'école « humaniste ». Soixante-trois oeuvres composent cet ensemble qui provient de la collection photographique du Fonds national d'art contemporain - FNAC.

Le musée Malraux rejoint ici l'air du temps et jette une passerelle entre les capitales, Paris et New York. Ainsi, un rapprochement entre la France et les Etats-Unis est rendu possible à travers ces illustrations proposées aux visiteurs.

Un siècle après l'avènement de la photographie en Europe comme nouvelle forme d'art, celle-ci devient grâce aux véritables progrès en optique et en chimie un instrument nouveau et puissant qui se prête à la communication et aux évolutions extérieures. Nonobstant la crise économique de 1929 puis la seconde guerre mondiale, des témoignages visuels optimistes de part et d'autre de l'Atlantique participent à l'histoire de la photographie.
Paris et ses alentours, encore proche de la campagne, est le lieu de liberté où les photographes vivent et travaillent. Avec passion, ils visent à hauteur du regard le quotidien et s'émerveillent devant la poésie de la banalité. Ils confèrent une tendre noblesse à la vie des gens simples. Le « Groupe des XV » (1946), qui expose en collectif Paris vu par le Groupe des XV, constitue un carrefour significatif dans la photographie parisienne de l'après-guerre. La clé, pour l'ensemble des photographes du groupe, c'est « l'instant décisif », concept d'Henri Cartier-Bresson.

Ils vont à la rencontre de leurs semblables et s'attachent à l'essentiel montrant la beauté cachée qui devient poésie. Les vues sont proches de nous comme La pluie (1956) de Sabine Weiss qui semble nous inviter à la rêverie. « Le clair-obscur, la buée, le brouillard, la fumée sont bien précis et enveloppent la vie, noyant les repères ». Un lien indissoluble se noue entre les photographes et la ville comme La maison des locataires (1962) de Robert Doisneau en témoigne. Ce réalisme poétique où les hommes s'inscrivent dans un lieu composé à la lumière ambiante s'apparente au cinéma de Marcel Carné (1906-1996) et du scénariste Jacques Prévert (1900-1977) avec Quai des Brumes (1938), Le jour se lève (1939).

La photographie humaniste épouse l'esprit du temps. Les lumières du Paris nocturne rejoignent l'Amérique par son rythme dont le seul correspondant est celui du jazz prenant conscience que l'homme est un à travers le monde. Le photographe américain Edward Steichen (1879-1973) y voit un langage universel de fraternité et d'identification idéologique. En 1955, il rend hommage aux humanistes et organise avec succès l'exposition itinérante The Family of Man au musée d'Art moderne de New York puis l'année suivante au musée des Arts décoratifs de Paris. A l'instar du photo-journalisme, le style plus calme mais très évocateur né dans les rues de Paris avec l'oeuvre d'Eugène Atget (1857-1927) et de André Kertész (1894-1985) a mûri.

La détermination et l'ouverture d'esprit du photographe américain Alfred Stieglitz (1864-1946), le fondement des oeuvres documentaires de Walter Evans (1903-1975), dynamisent et révolutionnent la photographie américaine. Dès lors, elle s'oriente, dans les années 1940-1960, vers la « Street photography » où New York et ses habitants devient l'épicentre des photographes comme Lisette Model, Helen Levitt, Louis Faurer, Robert Frank, William Klein, Bruce Davidson. Principaux protagonistes de l'« Ecole de New York », ils s'immergent dans la vie sociale des New Yorkais. Tous travaillent et se meuvent dans la ville. S'opposant au pictorialisme, ils photographient les rues de New York, enregistrent le métissage des quartiers de Harlem, de Brooklyn et du Lower East Side dans ses aléas, dans ses lumières bizarres, dans ses décadrages saugrenus rendant des vues plus violentes, usant du contre-jour et de gros plans extrêmes. Ray K. Metzker, lié à la tradition du Bauhaus de Chicago (1937), restitue une vision plus distante du spectacle de la rue.

L'utilisation du médium évolue grâce à la rencontre fortuite entre la technique, les événements extérieurs et les hommes produisant des images à effets subtils, participant à une même logique sémiotique. Le Rolleiflex 6X6 puis le Leica par sa capacité d'intrusion, appareil plus maniable car plus petit et de grande qualité, la pellicule Trix lancée en 1955 permettent enfin dans tous les angles une prise de vue sur le vif ou en mouvement et de saisir les scènes intérieures ou nocturnes dans des situations les plus imprévisibles. Le travail en noir et blanc facilitant un contact plus direct tend vers l'essentiel. « N'en rajoutez pas, il y a presque toujours encombrement dans une photo » dit encore René-Jacques.

La conception du reportage composé d'un ensemble suivi et complet d'images amène le livre comme un moyen de faire circuler le travail original d'un artiste, offrant un espace créatif autonome, donnant vie aux événements et aux êtres. L'agence Rapho, créée en 1933, qui regroupe de nombreux humanistes, s'oriente en 1945 vers l'édition notamment la publication d'ouvrages sur Paris. Les motifs photographiques semblent se chevaucher selon la voie du continu. Somme toute, cette continuité de la vision est le passage de l'image fixe au film. D'ailleurs les photographes américains tels Sy Kattelson et Léonard Freed ont une approche très cinématographique du visuel.

Un tournant s'opère avec Robert Frank et William Klein. Ce dernier, provocant et inventif, influencé par le peintre Fernand Léger (1881-1955) descend dans la rue et saisit le désordre naturel, les signes sociaux politiques et esthétiques de l'environnement urbain. En 1956, il publie New York, livre au style révolutionnaire. Robert Frank édite à Paris en 1958 un livre mythique Les Américains. « Frank détruit les hiérarchies du sens, Klein les règles du savoir-faire » résume Jean-Claude Lemagny. L'un et l'autre ont un intérêt commun pour le cinéma où ils y trouvent un nouveau souffle.

Jeu infini de miroir informant, les visiteurs peuvent découvrir quelques images de l'album de famille de notre humanité. Cette manifestation en parfaite harmonie avec la thématique de la Ville introduit l'événement majeur sur l'architecte Auguste Perret prévu à l'automne prochain au musée Malraux.
 
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