Les Senn, collectionneurs et mécènes
du 16 novembre 2024 au 16 février 2025
1 - Portraits de famille
Par son mariage en 1892, Olivier Senn s’allie à une grande famille protestante de la côte : les Siegfried.
Son épouse Hélène est en effet la fille d’Émilie Schlumberger et d’Ernest Siegfried, qui a fait fortune dans le négoce grâce à la Compagnie cotonnière.
Olivier devient par cette alliance le neveu de Jules Siegfried, ancien maire du Havre, futur ministre du commerce, de l’industrie et des colonies, député et conseiller général.
Le peintre Jean Benner (Mulhouse, 1836 - Paris, 1906), très lié à la famille Siegfried, brosse en 1874 les portraits des frères Maurice et Olivier Senn. En
1884, Benner réalise le portrait d’Hélène Siegfried à l’âge de treize ans. La famille Senn s’installe rue de la Côte dans une maison construite pour Ernest
Siegfried. En 1915, Olivier Senn demande au peintre décorateur Leslie Cauldwell (New York, 1861-1941) les portraits au pastel de sa femme Hélène et de leur fils Édouard. Leurs visages sont marqués par le deuil. En effet, Ernest, frère aîné d’Édouard, est tué dans les premiers combats de la guerre 14-18.
Alice, fille d’Olivier et d’Hélène Senn, épouse Rodolphe Rufenacht en 1918. Le couple s’installe au début des années 1940 aux États-Unis.
Son épouse Hélène est en effet la fille d’Émilie Schlumberger et d’Ernest Siegfried, qui a fait fortune dans le négoce grâce à la Compagnie cotonnière.
Olivier devient par cette alliance le neveu de Jules Siegfried, ancien maire du Havre, futur ministre du commerce, de l’industrie et des colonies, député et conseiller général.
Jean BENNER (1836-1906), Portrait d’Olivier Senn, 1874, huile sur toile, 46,3 x 37,7 cm. collection particulière ©François Duguet
1884, Benner réalise le portrait d’Hélène Siegfried à l’âge de treize ans. La famille Senn s’installe rue de la Côte dans une maison construite pour Ernest
Siegfried. En 1915, Olivier Senn demande au peintre décorateur Leslie Cauldwell (New York, 1861-1941) les portraits au pastel de sa femme Hélène et de leur fils Édouard. Leurs visages sont marqués par le deuil. En effet, Ernest, frère aîné d’Édouard, est tué dans les premiers combats de la guerre 14-18.
Alice, fille d’Olivier et d’Hélène Senn, épouse Rodolphe Rufenacht en 1918. Le couple s’installe au début des années 1940 aux États-Unis.
2 - Les pré-impressionnistes dans la collection d’Olivier Senn
La collection d’Olivier Senn, qui couvre près de cent ans d’histoire de l’art, s’ouvre par une étude du Cheval arabe blanc-gris, d’après Théodore Géricault. L’oeuvre, sortie depuis du giron familial, est évoquée ici par l’original, prêté par le musée de Rouen. Au début du XXe siècle, tout collectionneur d’art moderne devait, en effet, pouvoir présenter une oeuvre parmi les plus typiques des différents chefs d’école.
D’Eugène Delacroix, le collectionneur achète une étude pour la chapelle des Saints-Anges de l’église Saint-Sulpice à Paris en vue de l’offrir au musée du Havre en 1913, ses goûts ne le portant pas vers la peinture d’histoire. Outre trois dessins du maître du romantisme, Senn acquiert Paysage à Champrosay, l’un des vingt paysages purs de l’artiste et sans doute le plus beau, qui correspond plus à ses goûts personnels. Les Bords de la mer à Palavas, peints par Gustave Courbet lors de sa découverte du littoral languedocien en 1854, permet d’évoquer le chef de file du réalisme en peinture.
Des précurseurs de l’impressionnisme, Olivier Senn retient également des natures mortes précoces d’Eugène Boudin, qui témoignent de l’influence de Chardin et une oeuvre tardive de Camille Corot, datant du dernier séjour du peintre à Dunkerque.
Des oeuvres de Jongkind et de Lépine complètent l’accrochage de cet espace.
Eugène DELACROIX (1798-1863), Paysage à Champrosay, ca. 1849, huile sur toile, 41 x 72,5 cm. © MuMa Le Havre / David Fogel
Des précurseurs de l’impressionnisme, Olivier Senn retient également des natures mortes précoces d’Eugène Boudin, qui témoignent de l’influence de Chardin et une oeuvre tardive de Camille Corot, datant du dernier séjour du peintre à Dunkerque.
Des oeuvres de Jongkind et de Lépine complètent l’accrochage de cet espace.
3 - Degas, peintre d’histoire
La collection de dessins d’Edgar Degas (1834-1917) constituée par Olivier Senn affirme d’emblée un vif intérêt pour les débuts classiques de l’artiste. Degas suit une formation à l’École des Beaux-Arts, côtoyant les maîtres anciens qu’il copie au Louvre, puis en Italie où il achève son apprentissage. Ces années sont marquées par une pratique soutenue et passionnée du dessin. De retour à Paris, en 1859, il entreprend un premier tableau d’histoire, La Fille de Jephté, suivi bientôt de quatre autres sujets historiques.
Entre 1859 et 1865, il mène de front l’exécution de Petites filles spartiates provoquant les garçons, Alexandre et Bucéphale, Les Malheurs de la guerre et Sémiramis construisant Babylone. Ambitionnant de rénover le grand genre de la peinture d’histoire, Degas puise ses sujets dans le terreau fécond de son immense culture : l’Ancien Testament, Plutarque, ou encore un fait d’actualité avec Les Malheurs de la guerre qui traite de manière allégorique de la guerre de Sécession américaine. La Fille de Jephté est pour Degas l’occasion de traiter de manière métaphorique, la politique italienne de Napoléon III.
Les nombreuses études préparatoires pour ces peintures témoignent d’une lente et difficile maturation.
Degas abandonne ses compositions pour les reprendre et finalement les laisser pour la plupart inachevées. Seuls Les Malheurs de la guerre sont présentés au Salon de 1865. Degas se tourne ensuite résolument vers les scènes de la vie contemporaine : études de chevaux et champs de courses, monde de l’opéra et de la danse.
La collection Senn est également riche de deux superbes pastels de femmes au bain que l’amateur accroche dans le grand salon de son appartement parisien.
Edgar DEGAS (1834-1917), Cheval. Etude pour Alexandre et Bucéphale, 1859-1861, crayon noir, 31,25 x 22,75 cm. Collection Senn-Foulds. © MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn
Les nombreuses études préparatoires pour ces peintures témoignent d’une lente et difficile maturation.
Degas abandonne ses compositions pour les reprendre et finalement les laisser pour la plupart inachevées. Seuls Les Malheurs de la guerre sont présentés au Salon de 1865. Degas se tourne ensuite résolument vers les scènes de la vie contemporaine : études de chevaux et champs de courses, monde de l’opéra et de la danse.
La collection Senn est également riche de deux superbes pastels de femmes au bain que l’amateur accroche dans le grand salon de son appartement parisien.
4 - Le Salon Boudin et les études de ciels
Eugène BOUDIN (1824-1898), La Poissonnerie de Trouville, 1875, huile sur bois, 24 x 36 cm. Giverny - musée des impressionnismes - don de Christophe et Teresa Karvelis-Senn - 2023. ©MDIG/Jean-Charles Louiset
Les aquarelles réalisées sur les plages normandes, délicates et légères, évoquent la vie mondaine qui se développe en Normandie au moment même où la vogue des bains de mer, venue d’Angleterre, connaît un grand succès. Boudin, par la rapidité et la fluidité de ses traits, parvient à capter l’extrême mobilité de ses motifs. Deux pastels précoces de Guillaumin, d’une facture hardie et aux accords profonds de bleus et de noirs viennent compléter harmonieusement cet accrochage, évoquant celui de l’appartement à Paris.
Une esquisse peinte, Estuaire, et une Étude de ciel et plage au pastel, dont Baudelaire vanta la beauté dans son Salon de 1859, témoignent de la grande sensibilité que Senn porta à l’ensemble de la production de l’artiste. Hélène Senn-Foulds rapporte que son grand-père avait accordé une attention particulière à l’accrochage des études de ciel sur papier exécutées vers 1848-1853 qui voisinaient avec le grand Paysage d’automne de Pierre Bonnard.
5 - Le Petit salon
L’accrochage du Petit salon d’Olivier Senn condense la tonalité générale de la collection, placée sous le signe dominant de l’impressionnisme et du paysage. Sur les murs sont accrochés cinq paysages dont deux de la région normande : Quai à Honfleur de Jongkind et une oeuvre tardive de Boudin Barques et estacade, ainsi que deux paysages méditerranéens : Baie de Salerne de Renoir et Intérieur au balcon de Bonnard, peint à Antibes et acquis par Senn en 1933.
Senn est fidèle à quelques artistes, comme Camille Pissarro dont il achète six peintures et de nombreux dessins dont Femme ôtant sa chemise et Trois Femmes et fillette de dos. La donation d’Hélène Senn-Foulds en 2004 et celle de Pierre-Maurice Mathey, dix ans plus tard, ont fait entrer dans les collections du musée, quatre peintures de l’artiste dont Un Carrefour à l’Hermitage de 1876, présent sur le mur du Petit salon.
Sur la table, trônent Poule et Perdreau rouge de François Pompon, deux des cinq sculptures commandées directement à l’artiste en 1928.
Camille PISSARRO (1831-1903), Un Carrefour à l’Hermitage, Pontoise, 1876, huile sur toile, 38,5 x 46,5 cm. © MuMa Le Havre / David Fogel
Sur la table, trônent Poule et Perdreau rouge de François Pompon, deux des cinq sculptures commandées directement à l’artiste en 1928.
6 - Le Grand salon d’Olivier Senn
Olivier Senn est photographié vers 1945 dans son appartement parisien en compagnie de son petit-fils Jean Rufenacht. L’homme a alors près de quatre-vingt ans et il a, à cette date, constitué l’ensemble de sa collection. De part et d’autre de la cheminée au marbre richement veiné, plusieurs paysages de Renoir dont Paysage au bord de la Seine, pont d’Argenteuil et Les Pins à Cagnes sont présentés. L’admiration que Senn porte à Renoir se manifeste également par la présence de portraits tels que Femme vue de dos, visible sur le mur de droite et le Portrait de Nini Lopez, qui par un effet de mise en abyme, se reflète dans le miroir qui surmonte la cheminée.
La disposition des oeuvres sur les murs admet une fusion entre différentes générations d’artistes et offre des rapprochements entre Le Haut-de-forme,
intérieur de Félix Vallotton et le Portrait d’homme du XVIIIe siècle d’Henri-Pierre Danloux, entre Ruelle éclairée de Charles Lacoste et la petite Meule, soleil couchant de Claude Monet. Un état descriptif de la collection dressé après le décès du collectionneur en 1959 signale la présence de beaucoup d’autres oeuvres dans le salon :
notons d’Edgar Degas, deux remarquables pastels La Toilette et Après le bain, femme s’essuyant, ainsi que la Nature morte au pichet d’Henri Matisse de 1896.
Un piano témoigne de l’importance de la musique pour la famille Senn. Au-dessus sont suspendus Herbage aux environs de Caen de Stanislas Lépine et le grand Paysage avec des oies de Paul Gauguin récemment acquis par Olivier Senn.
Olivier Senn et son petit-fils Jean Rufenacht dans le grand salon de l’appartement, 10 avenue d’Iéna à Paris, après 1945 (reconstitution numérique à partir de deux photographies).
intérieur de Félix Vallotton et le Portrait d’homme du XVIIIe siècle d’Henri-Pierre Danloux, entre Ruelle éclairée de Charles Lacoste et la petite Meule, soleil couchant de Claude Monet. Un état descriptif de la collection dressé après le décès du collectionneur en 1959 signale la présence de beaucoup d’autres oeuvres dans le salon :
notons d’Edgar Degas, deux remarquables pastels La Toilette et Après le bain, femme s’essuyant, ainsi que la Nature morte au pichet d’Henri Matisse de 1896.
Un piano témoigne de l’importance de la musique pour la famille Senn. Au-dessus sont suspendus Herbage aux environs de Caen de Stanislas Lépine et le grand Paysage avec des oies de Paul Gauguin récemment acquis par Olivier Senn.
7 - Les Marquet de Senn
C’est probablement au Havre, à la première exposition du Cercle de l’art moderne en 1906, qu’Olivier Senn découvre le travail de Marquet.
Le peintre y présente deux oeuvres : Quai des Grands-Augustins, temps gris et Quai des Grands- Augustins, brouillard. Le premier est sans doute celui de la collection Senn quand le second est acheté par Charles-Auguste Marande, administrateur avec Senn de la Compagnie cotonnière. Mais le premier achat documenté est fait à la galerie Druet, avec un paysage fauve, Faubourg de Saint-Jean-de-Luz, le 9 octobre 1907. Peu à peu, la collection Senn compte dix-sept tableaux, plusieurs aquarelles et plus d’une centaine de dessins de Marquet, couvrant toute sa carrière.
L’accrochage du « Mur des Marquet » dans l’appartement d’Olivier Senn, avenue d’Iéna à Paris, est connu par une photographie du début des années 1930. Quatre oeuvres composant ce mur sont entrées dans les collections du musée à la faveur de la donation de 2004, quand une cinquième, très précoce dans l’oeuvre du peintre, Pivoines, a été donnée par Pierre-Maurice Mathey, petit-fils par alliance du collectionneur, en 2014. Les deux dernières oeuvres, Faubourg Saint-Jean-de-Luz et Femmes d’Alger, toujours dans sa descendance, sont exposées aujourd’hui et permettent de reconstituer ce mur, soixante-cinq ans après le décès d’Olivier Senn.
Le peintre y présente deux oeuvres : Quai des Grands-Augustins, temps gris et Quai des Grands- Augustins, brouillard. Le premier est sans doute celui de la collection Senn quand le second est acheté par Charles-Auguste Marande, administrateur avec Senn de la Compagnie cotonnière. Mais le premier achat documenté est fait à la galerie Druet, avec un paysage fauve, Faubourg de Saint-Jean-de-Luz, le 9 octobre 1907. Peu à peu, la collection Senn compte dix-sept tableaux, plusieurs aquarelles et plus d’une centaine de dessins de Marquet, couvrant toute sa carrière.
Albert MARQUET (1875-1947), Femmes d’Alger, vers 1920-1921, huile sur toile marouflée sur carton, 33 x 41 cm. 'Collection particulière. ©Wilson Graham
8 - Le Salon des indépendants de 1905
André DERAIN (1880-1954), Bougival, ca. 1904, huile sur toile, 41,5 x 33,5 cm. © MuMa Le Havre / David Fogel — © ADAGP, Paris, 2013
Il restait un dernier tableau à identifier. Les Pieuvres d’Auguste Matisse (Nevers 1866 - Île de Bréhat 1931), toile retrouvée dans la descendance du collectionneur, et présentée aux Indépendants de 1905 (n° 2765), constitue assurément le chaînon manquant. Auguste Matisse est alors très souvent confondu avec son homonyme, Henri Matisse (Le Cateau - Cambrésis, 1869 - Nice, 1954), à tel point que nombre de visiteurs s’esclaffent devant les tableaux du premier, croyant se trouver devant ceux du second, le « fauve ». Ernest Siegfried s’est vraisemblablement fourvoyé entre les deux Matisse. Un courrier, conservé par la famille Rufenacht et adressé par Auguste Matisse à un destinataire non identifié (Ernest Siegfried ou Olivier Senn ?), fait état d’une proposition d’achat pour 100 francs, confirmant cette hypothèse.
9 - Henri-Edmond Cross
En 1891, Seurat, chef de file du mouvement néoimpressionniste, meurt précocement. La même année, Henri-Edmond Cross rejoint le mouvement et en devient l’une des figures majeures, avec Signac. Ce n’est qu’après la mort de Cross en 1910, qu’Olivier Senn acquiert ses premières aquarelles de l’artiste.
En 1921, lors de la vente aux enchères de l’atelier de Cross, Senn achète quatre-vingt-six de ses oeuvres, dont six peintures, le reste étant constitué de dessins, aquarelles et quelques gravures pour la somme totale de 7 085 francs. Les oeuvres phares de la vente sont La Plage de La Vignasse aujourd’hui au musée et l’Étude pour La plage de Baigne-Cul, restée dans la descendance du collectionneur.
Le nombre de Cross acquis témoigne de l’engouement de Senn pour cet artiste sensible. La collection de vingt-huit dessins au crayon de la donation comprend des études pour des toiles peintes entre 1893 et 1904 et quelques dessins qui sont des oeuvres en soit.
On y trouve des esquisses générales pour Paysage à Cabasson ou pour Le Pêcheur provençal ou des mises au carreau, comme dans les deux Ferme. D’autres sont des études de détail, comme le personnage au puits qui sera repris dans une grande toile Jardin en Provence. Les autres dessins sont exécutés au crayon noir ou au fusain en frottements légers sur un papier vergé épais. Le crayon accroche ainsi les aspérités de la feuille et laisse apparaître le blanc du papier en creux. Cross utilise parfois la ligne pour définir le contour d’une forme comme dans Couple debout.
En 1895, Cross commence à travailler l’aquarelle. Simples notations exécutées sur le motif, elles sont destinées à enrichir un répertoire utilisé par l’artiste dans ses peintures comme en témoignent les deux études pour Toulon, matinée d’hiver, ou l’étude pour Paysage de Bormes, quand d’autres constituent des oeuvres autonomes.
Henri Edmond CROSS (1856-1910), Étude pour « Plage de Baigne-Cul », 1891-1892, huile sur toile, 23 x 34 cm. collection Christohe Karvelis-Senn ©François Doury
Le nombre de Cross acquis témoigne de l’engouement de Senn pour cet artiste sensible. La collection de vingt-huit dessins au crayon de la donation comprend des études pour des toiles peintes entre 1893 et 1904 et quelques dessins qui sont des oeuvres en soit.
On y trouve des esquisses générales pour Paysage à Cabasson ou pour Le Pêcheur provençal ou des mises au carreau, comme dans les deux Ferme. D’autres sont des études de détail, comme le personnage au puits qui sera repris dans une grande toile Jardin en Provence. Les autres dessins sont exécutés au crayon noir ou au fusain en frottements légers sur un papier vergé épais. Le crayon accroche ainsi les aspérités de la feuille et laisse apparaître le blanc du papier en creux. Cross utilise parfois la ligne pour définir le contour d’une forme comme dans Couple debout.
Henri Edmond CROSS (1856-1910), Etude pour « Paysage de Bormes », 1907, aquarelle sur papier vélin, 16 x 23 cm. collection particulière ©Wilson Graham
10 - Paul Sérusier
En 1908, Paul Sérusier (Paris, 1863 - Morlaix, 1927) participe au Havre à la troisième exposition du Cercle de l’art moderne, dont Olivier Senn est un des membres fondateurs. Le peintre est connu pour avoir exécuté vingt ans plus tôt, sur les instructions de Paul Gauguin, le fameux Talisman, oeuvre manifeste du mouvement nabi. Ce n’est pourtant qu’en 1916 qu’Olivier Senn commence à s’intéresser au travail de Sérusier, représenté par la galerie Eugène Druet à Paris, dont le collectionneur est familier.
Senn fait montre d’une grande indépendance de jugement dans le choix des artistes qu’il collectionne. Il n’hésite pas à acheter six toiles du peintre, malgré la faiblesse de sa cote, dont quatre pour la seule journée du 13 janvier 1917 : Nature morte au chou (le pot-au-feu), Nature morte aux roseaux, La Colline aux peupliers et Le Berger Corydon aujourd’hui réunies. En 1916 et 1917, Olivier Senn paie chaque Sérusier 250 francs à Druet, soit trois à quatre fois moins qu’un Vallotton ou un Marquet.
Ami de Maurice Denis, le peintre cherche à atteindre « l’idée d’harmonie dans la construction de l’oeuvre et dans la couleur » et n’hésite pas à puiser l’inspiration dans les légendes et la mythologie, ainsi du Berger Corydon et des Licornes.
Paul SÉRUSIER (1864-1927), Les Licornes, 1913, huile sur toile, 60 x 81 cm. 'Collection particulière. ©Courtoisie Oger
Ami de Maurice Denis, le peintre cherche à atteindre « l’idée d’harmonie dans la construction de l’oeuvre et dans la couleur » et n’hésite pas à puiser l’inspiration dans les légendes et la mythologie, ainsi du Berger Corydon et des Licornes.
11 - Félix Vallotton
Olivier Senn a acheté au moins huit oeuvres de Félix Vallotton (Lausanne, 1865 – Neuilly-sur-Seine, 1925) dont deux directement à l’artiste en 1925 : La Route romaine à Cagnes et La Cagne, sans que l’on sache si des relations plus anciennes préexistaient. Les autres oeuvres proviennent pour l’essentiel de la galerie Eugène Druet, marchand attitré du peintre depuis 1910.
Les tableaux choisis par Senn sont les témoins des recherches plastiques du peintre, chacun étant représentatif d’une étape de sa carrière comme des différents genres abordés. Le Haut-de-forme, intérieur, oeuvre de jeunesse, fait évidemment référence aux maîtres hollandais du XVIIe siècle.
La Valse, qui ouvre la voie à sa période nabie, tente de traduire une fusion des univers de la musique et de la danse. Le nu, avec la Femme nue se regardant dans une psyché, domine la production de l’artiste entre 1906 et 1909. À partir de 1910, Vallotton s’intéresse avec plus de constance à la nature morte, ainsi de la Nature morte aux pommes.
Enfin, le genre du paysage est présent à travers les deux vues de Cagnes, que Vallotton découvre pendant l’hiver 1920-1921. Le Rayon y tient une place singulière. D’une palette volontairement réduite, dominée par les verts et les ocres, Vallotton structure sa toile par la forte diagonale du rayon qui baigne le sous-bois d’une douce lumière dorée.
Les tableaux choisis par Senn sont les témoins des recherches plastiques du peintre, chacun étant représentatif d’une étape de sa carrière comme des différents genres abordés. Le Haut-de-forme, intérieur, oeuvre de jeunesse, fait évidemment référence aux maîtres hollandais du XVIIe siècle.
Félix VALLOTTON (1865-1925), Femme nue se regardant sans une psyché, 1906, huile sur toile, 81 x 65 cm. 'Collection particulière. ©Fondation Felix Vallotton - Lausanne
Enfin, le genre du paysage est présent à travers les deux vues de Cagnes, que Vallotton découvre pendant l’hiver 1920-1921. Le Rayon y tient une place singulière. D’une palette volontairement réduite, dominée par les verts et les ocres, Vallotton structure sa toile par la forte diagonale du rayon qui baigne le sous-bois d’une douce lumière dorée.
12 - Armand Guillaumin
Très proche d’Armand Guillaumin (Paris 1841 - Orly 1927), présent aux expositions de 1906 et 1907 du Cercle de l’art moderne, Olivier Senn réunit avec passion un ensemble de sept peintures, vingt-deux pastels et deux aquarelles. La donation Senn- Foulds de 2004 et celle de Pierre-Maurice Mathey en 2014 font entrer dans les collections du musée trois peintures, deux aquarelles et treize pastels. Les oeuvres choisies par Senn, la plupart directement auprès de l’artiste, témoignent de son intérêt pour les différentes étapes de la carrière de Guillaumin.
Nombreuses sont les oeuvres réalisées lors d’excursions en région parisienne, telles que La Seine à Samois ou également Pommiers dans la campagne. En 1892, Guillaumin s’installe dans la Creuse aux environs de Fresselines. Le site des ruines du château féodal de Crozant l’attire tout particulièrement. Il y mène une vie solitaire, rythmée par de longues marches quotidiennes dans la nature, peignant chaque saison avec la même ardeur. Cette approche impressionniste du paysage trouve des résonances plus fauves dans sa pratique du pastel.
L’artiste découvre la côte méditerranéenne qui va devenir un rendez-vous annuel. Senn se porte acquéreur de deux beaux pastels des rives aux arbres tordus de la rade du Brusc que Guillaumin visite en 1911. Là, dans la confrontation au paysage, l’artiste procède par contrastes de couleurs vives apposées en larges aplats, jouant souvent sur le papier laissé en réserve. Madame Guillaumin lisant montre également l’intérêt d’Olivier Senn pour de beaux portraits saisis dans l’intimité du quotidien.
Nombreuses sont les oeuvres réalisées lors d’excursions en région parisienne, telles que La Seine à Samois ou également Pommiers dans la campagne. En 1892, Guillaumin s’installe dans la Creuse aux environs de Fresselines. Le site des ruines du château féodal de Crozant l’attire tout particulièrement. Il y mène une vie solitaire, rythmée par de longues marches quotidiennes dans la nature, peignant chaque saison avec la même ardeur. Cette approche impressionniste du paysage trouve des résonances plus fauves dans sa pratique du pastel.
L’artiste découvre la côte méditerranéenne qui va devenir un rendez-vous annuel. Senn se porte acquéreur de deux beaux pastels des rives aux arbres tordus de la rade du Brusc que Guillaumin visite en 1911. Là, dans la confrontation au paysage, l’artiste procède par contrastes de couleurs vives apposées en larges aplats, jouant souvent sur le papier laissé en réserve. Madame Guillaumin lisant montre également l’intérêt d’Olivier Senn pour de beaux portraits saisis dans l’intimité du quotidien.
12 - Soutenir Charles Lacoste et Charles Cottet
Olivier Senn aime constituer des ensembles représentatifs des artistes qu’il affectionne. Parmi ceux-ci, Charles Lacoste (Floirac, 1870 - Paris, 1959) que le collectionneur rencontre pendant la Première Guerre mondiale et pour lequel il s’engage tout particulièrement.
Senn ne se contente pas de rassembler une vingtaine d’oeuvres de Lacoste - pour l’essentiel des paysages - qui couvrent toute la production du peintre, de 1903 à 1940. Souhaitant venir en aide au peintre qui peine à vivre de son art, Olivier Senn offre, en 1922 et 1933, deux de ses oeuvres au musée du Luxembourg, puis deux autres au musée de Pau en 1941.
Le collectionneur organise par ailleurs en sa faveur une exposition à la galerie Raphaël Gérard en 1937, pour laquelle il mobilise le soutien du peintre Maurice Denis ou de Louis Hautecoeur, conservateur du musée du Luxembourg.
De même, le collectionneur achète vingt-neuf oeuvres de Charles Cottet (Le Puy-en-Velay, 1863 - Paris, 1925), majoritairement des peintures et quelques dessins acquis à la galerie Allard à Paris. Les achats, concentrés sur une courte période, montrent une certaine forme d’insatiabilité du collectionneur dans ses acquisitions répétées en 1925 (quatre tableaux achetés le 26 mars, quatre le 24 mai et cinq autres en septembre).
Charles LACOSTE (1870-1959), Paysage : rivière et falaise, 1919, huile sur carton, 19 x 33,1 cm. Le Havre - musée d’art moderne André Malraux - collection Olivier Senn - donation Hélène Senn-Foulds - 2009. ©MuMa Le Havre/Laurent Lachèvre
Le collectionneur organise par ailleurs en sa faveur une exposition à la galerie Raphaël Gérard en 1937, pour laquelle il mobilise le soutien du peintre Maurice Denis ou de Louis Hautecoeur, conservateur du musée du Luxembourg.
De même, le collectionneur achète vingt-neuf oeuvres de Charles Cottet (Le Puy-en-Velay, 1863 - Paris, 1925), majoritairement des peintures et quelques dessins acquis à la galerie Allard à Paris. Les achats, concentrés sur une courte période, montrent une certaine forme d’insatiabilité du collectionneur dans ses acquisitions répétées en 1925 (quatre tableaux achetés le 26 mars, quatre le 24 mai et cinq autres en septembre).
13 - Les Senn, mécènes
Faisant figure de véritable « ami du musée » avant la lettre, Olivier Senn offre au musée du Havre, dès 1913, une peinture d’histoire d’Eugène Delacroix, Héliodore chassé du temple, esquisse préparatoire pour le décor de l’église Saint-Sulpice à Paris. Par des dons réguliers, Senn enrichit aussi les collections du musée du Luxembourg, lieu de diffusion officielle de l’art moderne, « musée des artistes vivants » et symbole du rayonnement culturel français.
Lors de la troisième vente de l’atelier Degas en 1919, la Société des amis du Luxembourg acquiert Étude de mains d’Edgar Degas, grâce aux dons de plusieurs amateurs dont Olivier Senn. Cette étude est un travail préparatoire pour le Portrait de famille, qui représente la famille Bellelli, acquis par l’État en 1917 (Paris, musée d’Orsay). En juin 1922, Senn offre quatre aquarelles d’Henri-Edmond Cross, n’hésitant pas à se dessaisir d’oeuvres issues d’ensembles ou de séries uniques. La même année, il fait don d’une grande toile d’Alphonse Quizet, La Rue des Saules à Montmartre. Olivier Senn a vraisemblablement décidé de soutenir cet artiste du vieux Paris qui obtient, en partie grâce à son arbitrage, la faveur des conservateurs de musées aussi bien à Paris qu’en province.
La générosité du collectionneur se manifeste aussi envers les musées de la Ville de Paris. En 1934, il offre de grandes Baigneuses, de l’artiste roubaisien Paul-Alex Deschmacker (Roubaix 1889 - 1973) qui est exposé pour la première fois, en 1924, à la galerie Allard. Fidèle à Albert Marquet, Senn achète en 1933, un magnifique nu La Femme blonde, qui frappe par son format, son audace picturale et sa plasticité. Si l’amateur s’en sépare rapidement, c’est pour en faire don, six ans plus tard, au musée du Luxembourg. Édouard Senn poursuivra l’oeuvre de mécène initiée par son père en donnant, en souvenir de ce dernier, l’étude d’ensemble pour Sémiramis construisant Babylone de Degas au musée du Louvre en 1976.
Edgar DEGAS (1834-1917), Etude de mains, 1860, huile sur toile, 38,2 x 46,4 cm. Paris- musée d’Orsay - don de la société des amis du Luxembourg -1919. ©RMN-GP/Hervé Lewandowski
Albert MARQUET (1875-1947), Femme Blonde, 1919, huile sur toile, 98,5 x 98,5 cm. Centre Pompidou - MNAM/CCI - don Olivier Senn au musée du Luxembourg - 1939. ©Centre Pompidou -MNAM-CCI - Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat
13 - Édouard Senn
Dernier des enfants d’Olivier et Hélène Senn, Édouard (Le Havre, 1901 - Sallanches, 1992) inscrit ses pas dans ceux de son père et devient négociant en coton puis président-directeur général de la Compagnie cotonnière en 1949. Passionné d’économie, il joue un rôle important dans le développement de l’industrie cotonnière en Afrique francophone.
Édouard Senn commence à collectionner au moment où son père cesse de le faire. Il fait évoluer le périmètre de la collection dont il hérite en 1959 et vend plusieurs oeuvres, en particulier de Maurice Denis et de Charles Cottet, en 1964. Il achète par ailleurs un Projet pour une mosaïque de Whistler en 1965 ainsi que Rue dans le midi d’Henri Matisse en 1975.
Comme Olivier Senn, Édouard Senn s’intéresse à l’art de son temps et suit particulièrement certains artistes dont Pierre Lesieur (dix oeuvres), Roger Mühl (sept oeuvres) ou Endre Rozsda (six oeuvres). Il entretient des liens personnels avec certains d’entre eux, comme Rozsda ou Étienne Hajdu. Mais les chefs-d’oeuvre de sa collection sont assurément Le Mendiant, de la période bleue de Picasso, et Paysage, Antibes de Nicolas de Staël, acquis en 1971, qui clôt le parcours de l’exposition.
La collection d’Édouard Senn est confiée au musée du Havre par sa fille, Hélène Senn-Foulds, en 2009, cinq ans après le don de la collection d’Olivier Senn.
Édouard Senn commence à collectionner au moment où son père cesse de le faire. Il fait évoluer le périmètre de la collection dont il hérite en 1959 et vend plusieurs oeuvres, en particulier de Maurice Denis et de Charles Cottet, en 1964. Il achète par ailleurs un Projet pour une mosaïque de Whistler en 1965 ainsi que Rue dans le midi d’Henri Matisse en 1975.
Pablo PICASSO (1881-1973), Le mendiant, 1904, aquarelle sur papier, 36 x 26 cm. © MuMa Le Havre / Charles Maslard — © Succession Picasso, 2013
La collection d’Édouard Senn est confiée au musée du Havre par sa fille, Hélène Senn-Foulds, en 2009, cinq ans après le don de la collection d’Olivier Senn.
EN SAVOIR +
Publications
Les Senn, collectionneurs et mécènes MuMa musée d’art moderne André Malraux,
Le Havre, 16 novembre 2024 - 16 février 2025
Auteurs : Sous la direction de Géraldine Lefebvre, André Cariou, Bruno Chenique, Michaël Debris, Clémence Poivet-Ducroix
Édition : Éditions Octopus / MuMa Le Havre, 280 pages, 190 illustrations, 22 x 28,5 cm, 30 €, Couverture souple à rabats
ISBN : 978-2-900314-49-4
Le Havre, 16 novembre 2024 - 16 février 2025
Auteurs : Sous la direction de Géraldine Lefebvre, André Cariou, Bruno Chenique, Michaël Debris, Clémence Poivet-Ducroix
Édition : Éditions Octopus / MuMa Le Havre, 280 pages, 190 illustrations, 22 x 28,5 cm, 30 €, Couverture souple à rabats
ISBN : 978-2-900314-49-4