« Réalisme impressionniste »

Avant 1899, Dufy n’a que peu d’occasions de voir des œuvres impressionnistes. C’est dans les galeries parisiennes – entre autres chez Durand-Ruel – qu’il découvre Pissarro et Monet, dont il s’inspire pour Le Port du Havre, peint à Paris vers 1900.
 
Certaines des premières œuvres de Dufy ont une datation incertaine, voire des titres à la mention géographique erronée, peut-être par commodité commerciale. La localisation de quelques-uns des ateliers improvisés – hôtel, meublé… – dans lesquels l’artiste a peint telles œuvres ou telle série, a été permise grâce à des enquêtes quasi policières, à partir de correspondance, du cadastre et de photographies, comme le démontre la carte des sites fréquentés par Dufy. Ce plan de la ville permet également de situer des lieux havrais aujourd’hui disparus, tels que l’hôtel du Ruban bleu ou le Casino Marie-Christine avec son estacade, et ceux où se rendait régulièrement l’artiste comme l’école municipale des Beaux-Arts ou le musée du Havre sur le Grand Quai, centre névralgique de l’économie portuaire.
 
Cette étude au plus près du territoire débouche sur une identification plus rigoureuse des sites peints. Ainsi, cette huile sur toile de 1902, Sortie de l’église et marché à Montivilliers, s’avère avoir été peinte près du Havre plutôt que de l’autre côté de l’estuaire à Honfleur, comme l’indiquait son titre usuel. Souvent oblitéré dans la nomenclature des titres d’œuvres par Sainte-Adresse, Le Havre retrouve aussi toute sa légitimité.
 
Comme le fit avant lui Claude Monet pour son chef-d’œuvre Impression, soleil levant réalisé un matin de 1872 depuis une chambre d’hôtel du Grand Quai, Camille Pissarro séjourne au Havre à l’été 1903 et peint l’avant-port depuis la fenêtre d’un hôtel. L’impressionnisme demeure en ce tout début de XXe siècle le mouvement pictural essentiel et Le Havre continue de prêter son cadre à ses dernières manifestations.

FOCUS ŒUVRE __ 
À la même époque, Dufy installe son chevalet sur la plage, reprenant à son compte l’iconographie balnéaire de ses aînés : l’estacade, les baigneurs, les tentes de toile… Comme eux, il cherche à restituer la mobilité des effets lumineux, la vibration de l’atmosphère. La plage du Havre – dite à tort La Plage de Sainte-Adresse – devient son terrain de prédilection. Les différentes Estacades, toutes fortement structurées par le jeu des verticales et des horizontales, ont été peintes en plein été, mais leurs factures révèlent des solutions formelles variées tendant à un même rendu illusionniste et vibratoire de la lumière solaire. La touche encore fragmentée de l’une s’allonge et s’étire dans les autres dans des effets de quasi transparence.
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Dans ces années 1900-1906, Dufy expérimente tous azimuts, regardant du côté du naturalisme pour s’en départir très vite et trouver sa voie. Il prend rapidement conscience des limites d’une représentation du réel essentiellement visuelle et descriptive. Cherchant à en finir avec cette quête de la représentation de la lumière du soleil, il comprend que c’est désormais par la couleur qu’adviendra la lumière du tableau.
 
« Jusqu’alors j’avais fait des plages à la manière des impressionnistes et j’en étais arrivé à un point de saturation, comprenant que, dans cette façon de me calquer sur la nature, celle-ci me menait à l’infini, jusque dans les méandres et ses détails les plus menus, les plus fugaces. Moi je restais en dehors du tableau. Un jour, n’y tenant plus, je sortis avec ma boîte de couleurs et une simple feuille de papier. Arrivé devant un motif quelconque de plage, je m’installai, et me mis à regarder mes tubes de couleurs, mes pinceaux. Comment, avec cela, parvenir à rendre non pas ce que je vois, mais ce qui est, ce qui existe pour moi, ma réalité ? … À partir de ce jour-là, il me fut impossible de revenir à mes luttes stériles avec les éléments qui s’offraient à ma vue… »
Texte d’Olivier Gaulon, d’après les textes d’Annette Haudiquet, de Sophie Krebs, de Nadia Chalbi, ainsi que d’extraits de presse de l’époque.
 
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