Traverser la guerre

Equipier des chantiers de la jeunesse française

La guerre est déclarée le 3 septembre 1939. Reynold Arnould réside alors à Varvannes, dans la campagne normande entre Rouen et Dieppe, où ses parents se sont repliés. Il n’a pas encore vingt ans. Pendant la « drôle de guerre », le jeune « Prix de Rome » se lance, grâce au réseau de son mentor Jacques-Emile Blanche, dans une activité lucrative qu’il poursuivra durant toutes les années de guerre : le portrait mondain. [voir Œuvres de jeunesse]
 
Écusson du groupement 27 « Mangin » des Chantiers de la jeunesse française (le dessin a certainement été réalisé par Reynold Arnould), 1940 Tissage mécanique, 7 x 5 cm. Collection Rot-Vatin
Écusson du groupement 27 « Mangin » des Chantiers de la jeunesse française (le dessin a certainement été réalisé par Reynold Arnould), 1940 Tissage mécanique, 7 x 5 cm. Collection Rot-Vatin
Mais la guerre rattrape le jeune Reynold qui est mobilisé le 7 juin 1940 à La Rochelle. Il fait « ses classes », mais n’a pas le temps de combattre avant l’armistice du 22 juin qui signe la défaite de la France. Comme tous les jeunes hommes dans sa situation, il est versé dans les Chantiers de la jeunesse française, institution créée en catastrophe le 30 juillet 1940 par le général Joseph de la Porte du Theil. Inspirés par le scoutisme, les chantiers imposent aux jeunes gens un service national démilitarisé de six mois visant des missions d’intérêt général comme le déboisement et le charbonnage en zone de montagne. Reynold est affecté au chantier de Bénac en Ariège, où il reste jusqu’au 30 janvier 1941. Il s’entend bien avec ses chefs et se livre à des travaux « artistiques » comme la conception de fanions et d’insignes. Il se rend régulièrement dans la petite ville industrielle voisine de Lavelanet où il s’est fait des amis et des clients.

Les peintures de Lavelanet

L’Ariège, Laroque d’Olmes, usine Fonquernie, vers 1930-1940. Carte postale, phototypie Labouche frères, Toulouse, 9 x 14 cm. Collection Rot-Vatin
L’Ariège, Laroque d’Olmes, usine Fonquernie, vers 1930-1940. Carte postale, phototypie Labouche frères, Toulouse, 9 x 14 cm. Collection Rot-Vatin
Lavelanet est une petite ville d’Ariège spécialisée dans la filature. Alors qu’il est au chantier de jeunesse de Bénac, situé à 35 km, Reynold Arnould y est invité à faire les portraits d’une famille de filateurs. On sollicite alors le jeune Prix de Rome pour réaliser la décoration d’une chapelle de l’église paroissiale. La commande est passée par le curé de la paroisse, le chanoine Ruffié, qui se charge de réunir les fonds auprès des industriels locaux. Il s’agit de réaliser deux panneaux en ogive de cinq mètres de haut sur cinq mètres de base. Le premier doit être consacré aux « saintes femmes de France » entourant la vierge se penchant sur le sort du malheureux pays, le second, à l’histoire héroïque de la France, de Vercingétorix au maréchal Pétain. On est là dans l’atmosphère ambigüe de l’armistice, où se mêlent un nationalisme un peu dérisoire et l’esprit de repentance catholique traditionnaliste.
 
Reynold Arnould peignant La Sainte Vierge entourée des saintes de France décidant du sort de la France à la Villa Il Paradiso, en avril 1942. © Photographie Documentation française
Reynold Arnould peignant La Sainte Vierge entourée des saintes de France décidant du sort de la France à la Villa Il Paradiso, en avril 1942. © Photographie Documentation française
La commande définitive de ces deux œuvres n’est passée qu’au cours de l’été 1941, alors que Reynold Arnould, libéré du chantier de jeunesse et pas encore pensionnaire de la villa « Il Paradiso » de Nice, est retourné chez ses parents à Varvannes. Reynold a envisagé de réaliser ses décorations à la fresque. Il a fait quelques essais sur place où il se rend en juillet 1941, s’est exercé à cette technique dans l’atelier que lui prête Jacques-Emile Blanche à Auteuil et a demandé des conseils à Maurice Denis. Mais il y renonce, autant en raison de la difficulté de l’exercice, que parce que cela aurait nécessité un long séjour sur place qui lui est impossible pour de multiples raisons. Ce sont donc deux grandes huiles qu’il réalise. La première est commencée dans l’atelier de Blanche au cours de l’automne 1941, puis achevée à Nice où il s’installe en février 1942. Elle est expédiée à Lavelanet où Reynold se rend pour la signer le 5 septembre 1942. Il a alors obtenu la certification de la commande de la seconde toile qu’il réalise également dans son atelier de Nice avant qu’il ne quitte définitivement cette ville pour Paris en avril 1943. La toile est expédiée à Lavelanet, où Reynold se rend pour la signer le 11 août 1943.     
 
Reynold ARNOULD (1919-1980), Gesta Dei per Francos (détail). © Photographie Didier Taillefer, 2017
Reynold ARNOULD (1919-1980), Gesta Dei per Francos (détail). © Photographie Didier Taillefer, 2017
Au cours de l’hiver 1940-1941 quand le projet des deux toiles est conçu, Reynold Arnould est, comme la plupart des Français à l’époque, un adepte convaincu de la Révolution nationale prônée par le Maréchal Pétain, que les décorations de Lavelanet incarnent. Son mentor Jacques-Emile Blanche comme son père, collaborationniste affiché, le poussaient dans cette voie. Sa correspondance avec son ami Pierre Gresland témoigne du soin qu’il prend à la réalisation de la première toile. Mais, comme celles d’une large part de la nation, ses opinions basculent au cours de l’année 1942, avec le retour au pouvoir de Pierre Laval, la pression pour l’envoi de travailleurs en Allemagne, puis l’invasion allemande et italienne de la « zone sud ». Il réalise la seconde toile comme une corvée à accomplir. Il a besoin d’argent. Lors de son retour de Lavelanet en août 1943, il écrit à Pierre Gresland : « Mon travail à Lavelanet, quoique tu saches quel mécontentement profond intérieur j’en retire, s’est bien terminé ».

Fuir le STO

Reynold ARNOULD (1919-1980), Comme les soldats de l'An II. Engagez-vous dans les F.T.P., vers 1942-1945, huile sur papier, 65 x 50 cm. Paris, Centre Pompidou - Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle, don de Succession Marthe Bourhis-Arnould en 1999. © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI
Reynold ARNOULD (1919-1980), Comme les soldats de l'An II. Engagez-vous dans les F.T.P., vers 1942-1945, huile sur papier, 65 x 50 cm. Paris, Centre Pompidou - Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle, don de Succession Marthe Bourhis-Arnould en 1999. © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI
Le Service du travail obligatoire (STO), instauré le 16 février 1943, prend la suite de précédents dispositifs d’envois de travailleurs français en Allemagne. Il se présente comme un succédané du service militaire et vise primitivement les jeunes hommes des classes 1920 à 1922, mais aussi la dernière fraction de la classe de 1919, celle de Reynold Arnould, qui n’a pas été pleinement incorporée pendant la guerre. De fait, les autorités françaises « ratisseront » plus large pour répondre aux attentes allemandes de main d’œuvre. Comme pour le service militaire, les étudiants peuvent demander un sursis pour passer leurs examens. Reynold Arnould est convoqué pour une visite médicale à Nice le 24 mars 1943. Son statut de pensionnaire de la Villa « Il Paradiso » lui permet de bénéficier d’un sursis étudiant. Il cherche à tous prix à échapper à l’envoi en Allemagne, mesure qui lui parait d’autant plus injuste qu’il considère avoir accompli son service national, pour avoir été incorporé dans l’armée, puis été équipier des chantiers. Pas plus que ses camarades, pourtant plus âgés que lui, Reynold ne bénéficie du soutien du directeur de la Villa « Il Paradiso », Robert Poughéon, aux convictions pétainistes. En revanche, le secrétaire général de la villa, Raoul Villedieu, s’active en sous-main pour ses pensionnaires en négociant tant avec la préfecture de Nice qu’avec les autorités allemandes.
 
Courrier d’Abel Bonnard, ministre de l’Éducation nationale, à Fernand de Brinon, délégué du gouvernement français dans les territoires occupés, à propos de l’affectation de Reynold Arnould au STO, 10 juillet 1943, Rome. ©  Archives de la Villa Médicis
Courrier d’Abel Bonnard, ministre de l’Éducation nationale, à Fernand de Brinon, délégué du gouvernement français dans les territoires occupés, à propos de l’affectation de Reynold Arnould au STO, 10 juillet 1943, Rome. © Archives de la Villa Médicis
Parallèlement, Reynold bénéficie d’un courrier de l’administration des Beaux-Arts, daté du 10 juillet 1943, demandant aux autorités allemandes que son affectation lui permette de poursuivre ses études de peintre. Peut-être aurait-il rejoint, s’il était parti en Allemagne, les cent artistes français accueillis dans l’atelier d’Arno Brecker, le sculpteur favori d’Adolf Hitler ?
  
L’affaire du STO a été à l’origine de la rencontre de Reynold Arnould et de sa future femme Marthe Bourhis. De dix ans plus âgée que lui, celle-ci est alors mariée à un musicien, André Theurer. Ses activités restent mystérieuses. Elle est musicienne, a beaucoup voyagé avant-guerre, notamment aux Etats-Unis et en Egypte où elle aurait participé à des chantiers de fouilles. Après son premier mariage en 1940, elle s’inscrit à l’Ecole du Louvre, dont elle obtient quelques certificats au cours des années 1941-1943. Elle a par ailleurs des activités à Monte-Carlo où elle achète en août 1943 une boutique d’articles de fantaisie. Elle collabore avec un célèbre cardiologue, le docteur Charles Laubry, dont le fils Jean-Jacques est musicien. Ce médecin prescrit aux jeunes gens qui veulent échapper au STO des comprimés provoquant des tachycardies. Reynold Arnould est mis en contact avec Marthe par son camarade de la villa « Il Paradiso », Alfred Désenclos, qui avait été condisciple d’André Theurer et de Jean-Jacques Laubry au Conservatoire. Il part à Paris pour rejoindre Marthe, consulte Charles Laubry et parvient à tromper les autorités médicales allemandes.
  En mai 1944, il part avec Marthe, son ami Raymond Grange et leurs mères respectives à Châteauneuf-les-Bains, petite ville d’eau auvergnate, Il y fréquente des engagés dans la Résistance et y réalise lors de la Libération de la région en août 1944 une série de gouaches pro-FTP (Francs-tireurs et partisans).

Cette période est essentielle pour le destin personnel et artistique de Reynold Arnould. Marthe, qu’il épouse à Paris le 11 octobre 1945, est bien introduite dans les milieux intellectuels issus de la Résistance et lui ouvre de nouveaux horizons culturels.
 
Reynold ARNOULD (1919-1980), Paysage de Pont-Aven (présenté au 37e Salon d’automne de Paris, 1945), huile sur toile, 50 x 61 cm. Rouen, musée des Beaux-Arts. Inv. 1980.16.21. © cliché G. Rot
Reynold ARNOULD (1919-1980), Paysage de Pont-Aven (présenté au 37e Salon d’automne de Paris, 1945), huile sur toile, 50 x 61 cm. Rouen, musée des Beaux-Arts. Inv. 1980.16.21. © cliché G. Rot
Après son départ de Nice, Reynold est libéré de la tutelle académique. Il lit Les étapes de la peinture contemporaine de Bernard Dorival[1], alors à la tête du Musée national d’art moderne, depuis la révocation de Jean Cassou en 1940. Il reçoit dans son atelier parisien la visite de cet important historien d’art, promoteur de la jeune peinture française inspirée notamment par Jacques Villon. Arnould ne rencontrera Villon qu’en 1947, mais c’est dès l’été 1944 que s’opère la mue de sa peinture : couleurs plus pures, luminosité, découpage géométrique de l’espace. Il a vingt-cinq ans. Le temps de l’apprentissage touche à sa fin.
Biographie établie par François Vatin d'après Gwenaële Rot et François Vatin, Reynold Arnould. Une poétique de l'industrie, Paris, Presses universitaires de Nanterre, 2019
 
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Notes

[1] Bernard Dorival, Les étapes de la peinture contemporaine, tome 1 : « De l’impressionnisme au fauvisme, 1883-1905 », ; tome 2 : « Le fauvisme et le cubisme, 1905-1911 », Paris, Gallimard, 1943 et 1944.

Illustrations