Œuvres monumentales

Tapisseries

Reynold ARNOULD (1919-1980), Formes mécaniques, renommé Formes dynamiques, 1963, tapisserie d’Aubusson (lissier : Olivier Pinton), 298 x 220 cm. Rouen, musée des Beaux-Arts. Inv. 1980.16.28. © Réunion des musées métropolitains Rouen Normandie, cliché Y. Deslandes
Reynold ARNOULD (1919-1980), Formes mécaniques, renommé Formes dynamiques, 1963, tapisserie d’Aubusson (lissier : Olivier Pinton), 298 x 220 cm. Rouen, musée des Beaux-Arts. Inv. 1980.16.28. © Réunion des musées métropolitains Rouen Normandie, cliché Y. Deslandes
Très tôt Reynold Arnould est attiré par l’art mural. Ce désir de peindre les murs lui vient de son apprentissage académique, mais aussi du mouvement de rénovation artistique né de la guerre dans lequel il s’inscrit. L’art monumental est aussi un art social : celui qui prend place dans les espaces publics, intérieurs et extérieurs, celui qui fait de l’artiste un « ouvrier du beau », pour toutes les couches de la société. Le renouveau de la tapisserie, lieu de rencontre de l’artiste et de l’artisan, qui commence pendant la guerre et s’affirme après, est une des expressions les plus typiques de ce moment de l’art français. Reynold Arnould y apporta sa contribution.
 
Reynold ARNOULD (1919-1980), La Vague, 1961, tapisserie d’Aubusson (lissier : Olivier Pinton), 215 x 575 cm. Le Havre, musée d’art moderne André Malraux. Don de l’artiste et du lissier, 1961. © 2016 MuMa Le Havre / Charles Maslard
Reynold ARNOULD (1919-1980), La Vague, 1961, tapisserie d’Aubusson (lissier : Olivier Pinton), 215 x 575 cm. Le Havre, musée d’art moderne André Malraux. Don de l’artiste et du lissier, 1961. © 2016 MuMa Le Havre / Charles Maslard
Dès l’immédiat après-guerre, il manifesta son intérêt pour cette technique. En 1948, l’inspecteur des Beaux-Arts Robert Rey l’encouragea à proposer des cartons. Neuf tapisseries furent réalisées d’après ses cartons par les ateliers de son ami Olivier Pinton à Felletin dans la Creuse entre 1961 et 1966. Le critique Frank Elgar a insisté sur l’importance qu’Arnould accordait à la technique de la tapisserie et à la collaboration avec les lissiers : « Arnould s’est bien gardé d’envoyer à Felletin, pour être traduite en laine, une peinture ou quelques esquisses à la gouache ; il est allé sur place, il a scrupuleusement préparé, dans les ateliers mêmes, ses cartons en reprenant les procédés de la haute époque : gros points, tons comptés, netteté des lignes et des plans, simplicité des formes, nombre restreint des teintes »[1].

Le 1 % culturel

Reynold Arnould peignant Passage, 1964. Passage, peinture de Reynold Arnould, une des 18 compositions monumentales réalisées pour l’École nationale d’enseignement technique de Caucriauville (Le Havre) Carte de voeux 1965, 13,5 x 16,5 cm. Photographie collée sur carton Collection Rot-Vatin
Reynold Arnould peignant Passage, 1964. Passage, peinture de Reynold Arnould, une des 18 compositions monumentales réalisées pour l’École nationale d’enseignement technique de Caucriauville (Le Havre) Carte de voeux 1965, 13,5 x 16,5 cm. Photographie collée sur carton Collection Rot-Vatin
L’idée de financer les artistes tout en contribuant à embellir les établissements scolaires avait été imaginée sous le Front populaire par Georges Huisman, alors directeur des Beaux-Arts au ministère de l’Education nationale[2]. Elle est mise en œuvre en 1951 sous la forme du « 1 % culturel », mesure désignant le pourcentage des frais de construction des bâtiments de l’Education nationale qui devait être consacré au financement d’une œuvre intégrée à l’architecture. Reynold Arnould s’était toujours intéressé à l’architecture. Il était ami d’enfance de l’architecte André Ravéreau, s’était lié d’amitié avec Bernard Zerhfuss, lauréat avec lui du Prix de Rome en 1939, avait croisé les architectes de la reconstruction sur les chantiers Perret au Havre. Dès son arrivée dans cette ville en 1952, il collabore avec un disciple de Perret, Guy Lagneau pour la décoration de l’école maternelle Paul Bert du quartier d’Aplemont. Cette collaboration le conduit à recommander cet architecte pour la construction du nouveau musée. C’est un autre des co-architectes du musée, le havrais Raymond Audigier qui le sollicite pour la décoration, financée par le 1 %, d’un collège de la basse ville basse du Havre[3]. Reynold Arnould réalise, en collaboration avec les élèves et les enseignants de l’établissement, un haut-relief en aluminium anodisé coloré, polyester ondulé et céramique sur le thème de l’apprentissage professionnel. Cette œuvre est conçue parallèlement à la préparation de l’exposition Forces et rythmes de l’industrie. Les thématiques sont proches et certaines pièces de la composition sont présentées à l’exposition de 1959 au musée des arts décoratifs. Le Collège moderne des garçons (actuel lycée Porte océane) est inauguré le 15 octobre 1961. La décoration d’Arnould a malheureusement disparu.
 
Présence Normande. Revue de Haute-Normandie, 14e année, n° 7, juillet 1963.. Légende de la couverture : « Le peintre Reynold Arnould travaillant dans l’ensemble de l’école nationale technique du Havre-Caucriauville ». © Photo Paris-Normandie par Jean Vavasseur
Présence Normande. Revue de Haute-Normandie, 14e année, n° 7, juillet 1963.. Légende de la couverture : « Le peintre Reynold Arnould travaillant dans l’ensemble de l’école nationale technique du Havre-Caucriauville ». © Photo Paris-Normandie par Jean Vavasseur
L’opération de décoration scolaire la plus ambitieuse à laquelle participe Reynold Arnould est celle réalisée pour la cité scolaire de Caucriauville sur les hauteurs du Havre, construite dans les années 1960 par son ami Bernard Zehrfuss (1911-1996). Disciple de Le Corbusier, celui-ci vient de participer à la construction de la voûte du CNIT à la Défense et du palais de l’Unesco à Paris et est alors un des architectes les plus en vue de sa génération. Il a fait partie en 1951 des membres fondateurs du groupe Espace, qui se donnait pour mission l’intégration de l’art et de l’architecture[4]. Il avait déjà réalisé deux projets avec des plasticiens dans cet esprit : l’imprimerie Mame à Tours avec Edgar Pillet et l’usine et ses logements ouvriers Renault à Flins avec Felix Del Marle[5]. Sa troisième grande opération d’ « intégration des arts » fut la cité scolaire de Caucriauville avec Reynold Arnould et Jacques Swobada. Cette cité scolaire était destinée à accueillir trois établissements avec une logistique commune : une école d’ingénieur (qui deviendra l’IUT), un lycée technique d’Etat, un centre de formation technique du bâtiment (les deux derniers sont regroupés aujourd’hui dans le lycée Robert Schuman).
 
Atelier ouest du lycée Robert Schuman Le Havre-Caucriauville en 2016. © cliché François Vatin
Atelier ouest du lycée Robert Schuman Le Havre-Caucriauville en 2016. © cliché François Vatin
La construction se fit en trois phases et dura onze ans, de 1961 à 1972 ; le travail de décoration accompagna chacune des phases. Zehrfuss confie à Arnould la conception chromatique d’ensemble de l’intérieur de l’édifice. Des décorations murales, réalisées avec peinture en bâtiment glycérophtalique mate employée sur les murs intérieurs « ponctuent » cet ensemble. La réalisation de sols en mosaïques de marbre est confiée à Swobada. Reynold Arnould peint lui-même sur place les œuvres de la première phase avec des motifs inspirés de l’exposition Forces et rythmes de l’industrie. Pour la deuxième phase, devenu alors directeur des galeries du Grand-Palais, il doit faire appel à un praticien : le peintre Christian Sauvé, alors élève de l’école des beaux-arts de Rouen.
 
Signe, peinture murale de Reynold Arnould (1963), lycée Robert Schuman du Havre-Caucriauville. © cliché F. Vatin
Signe, peinture murale de Reynold Arnould (1963), lycée Robert Schuman du Havre-Caucriauville. © cliché F. Vatin
Les dernières œuvres, destinées au centre de formation du bâtiment, portant sur la thématique commandée d’un éloge à Auguste Perret, sont réalisées par Arnould à Paris sur des toiles ensuite marouflées sur place. On peut encore observer dans l’enceinte de l’IUT et du lycée Robert Schuman certaines des peintures murales d’Arnould, mais l’essentiel de l’œuvre a disparu.
 
Après Caucriauville, Reynold Arnould a continué à s’intéresser au 1 % culturel. Comme d’autres artistes de sa génération, il s’oriente à la fin des années 1970 vers un art sculptural :  « sculpture-architecture par éléments moulés libres » pour le collège de la Basse-Bretonne au Havre ; sept « sculptures-rencontres » pour le collège de Saint-Valéry-en-Caux (Seine-Maritime), décoration monumentale pour le collège de la Ferté-Macé (Orne). Malheureusement, l’ensemble de ces projets, pourtant parfois très avancés, avortent, en raison de difficultés techniques, mais aussi de la détérioration de son état de santé.

Equipements urbains

Bas-relief en aluminium représentant une salamandre, blason de la Ville pour la salle du Conseil de la mairie du Havre. © Ville du Havre
Bas-relief en aluminium représentant une salamandre, blason de la Ville pour la salle du Conseil de la mairie du Havre. © Ville du Havre
L’œuvre de décorateur de Reynold Arnould ne s’est pas limitée aux établissements scolaires. Il a aussi travaillé pour les équipements urbains dans ses deux villes du Havre et de Rouen. Au Havre, il réalise un haut-relief en aluminium représentant une salamandre, emblème de la ville, pour la salle du conseil municipal (vers 1960), la peinture sur bois précieux qui décore le hall d’accueil du bâtiment administratif du port autonome (1965), œuvres l’une et l’autre toujours en place, une peinture sur panneaux de contreplaqué pour le hall des bureaux de l’American Express (1959), qui, déposée, a été offerte au musée, ainsi qu’une sculpture en métal pour le nouveau quartier de Caucriauville, qui, elle, a disparu. A Rouen, il a aussi été sollicité pour de grands chantiers de décoration.

 
Hall d’accueil de la nouvelle Préfecture de la Seine-Maritime, sur le mur du fond la peinture Expansion (la peinture murale mesurait 4 x 17 m). Photographie collée sur carton et annotée par Reynold Arnould, 1965. Collection Rot-Vatin
Hall d’accueil de la nouvelle Préfecture de la Seine-Maritime, sur le mur du fond la peinture Expansion (la peinture murale mesurait 4 x 17 m). Photographie collée sur carton et annotée par Reynold Arnould, 1965. Collection Rot-Vatin
En 1965, il décore d’une peinture de dix-sept mètres de long le hall d’accueil de la nouvelle Préfecture de Seine Maritime. Ce bâtiment imposant est construit à côté de la tour des archives sur la rive gauche de la Seine dans le cadre de la grande opération de rénovation urbaine. Cette décoration, déposée en 2000, est malheureusement introuvable. En 1965, Reynold Arnould réalise une grande peinture sur panneaux : Le travail de la cité, sur le thème du port industriel de Rouen pour le Palais des Consuls, bâtiment reconstruit de la chambre de commerce. Ce panneau a été vendu aux enchères en 2016 à Rouen avec d’autres œuvres d’art qui décorait ce bâtiment à l’occasion du déménagement de la Chambre de commerce. Il faut enfin citer à Paris, la conception d’un sol en marbre colorée pour la rotonde d’entrée des Galeries nationales du Grand-Palais, qui est toujours en place, ainsi qu’une peinture murale pour une bibliothèque publique, place d’Italie. Cette œuvre Rythmes de feuilles, réalisée en 1975, est la dernière œuvre monumentale de Reynold Arnould. Inscrite à l’inventaire, elle a également été déposée.

Usines et bateaux

Gaz de France information, n° 128, novembre 1959, Archives du musée des arts décoratifs
Gaz de France information, n° 128, novembre 1959, Archives du musée des arts décoratifs
Reynold Arnould espérait que certains de ses tableaux présentés à l’exposition Forces et rythmes de l’industrie pourraient servir de modèles pour des œuvres à plus grande échelle réalisées dans les entreprises. Son espoir fut déçu. Seule l’entreprise Gaz-de-France, alors dirigée par l’ingénieur-esthète Georges Combet qui avait commandé une décoration à Fernand Léger pour la cokerie d’Alfortville à-côté de Paris lui offrit un mur. Mais ce ne fut pas pour une usine, mais pour la salle de son conseil d’administration. Reynold Arnould put toutefois reprendre de façon monumentale certaines de ses œuvres pour la décoration de la cité scolaire de Caucriauville.
 
Reynold ARNOULD (1919-1980), Étude préparatoire pour Propulsion, décoration du paquebot France, vers 1960-1961, huile sur isorel, 99 x 180 cm. Paris, courtesy Galerie gimpel & müller. © cliché S. Nagy
Reynold ARNOULD (1919-1980), Étude préparatoire pour Propulsion, décoration du paquebot France, vers 1960-1961, huile sur isorel, 99 x 180 cm. Paris, courtesy Galerie gimpel & müller. © cliché S. Nagy
De même, il reprit un motif de Forces et rythmes de l’industrie pour sa contribution à la décoration du Paquebot France. Cette œuvre sévère inspirée par le moteur du paquebot, intitulée Propulsion, était installée dans l’escalier d’honneur de la seconde classe ; elle contraste avec l’esthétique dominante passablement surannée de ce palace flottant. Bien plus tard, en 1972, son vieil ami René Miot, connu en 1940 aux chantiers de jeunesse de Bénac en Ariège, devenu directeur du réseau-nord de la SNCF, lui commanda une œuvre : Rythmes de transport pour la gare d’Amiens.
 
Reynold ARNOULD (1919-1980), Etude pour la figure de proue du pétrolier Bollsta, vers 1965, feutres sur papier. Collection Rot-Vatin. © Droits réservés
Reynold ARNOULD (1919-1980), Etude pour la figure de proue du pétrolier Bollsta, vers 1965, feutres sur papier. Collection Rot-Vatin. © Droits réservés
Si Reynold Arnould ne put intervenir dans les usines comme il l’aurait souhaité, il eut l’occasion de réaliser des décorations industrielles originales, celle de cargos de la compagnie Fred Olsen. Il avait rencontré, à l’occasion de son exposition à la Galerie de France en janvier 1954, l’armateur norvégien Thomas Olsen, grand amateur d’art, connu pour avoir protégé la peinture d’Edvard Munch pendant la guerre. Olsen lui avait alors acheté dix-huit toiles pour décorer l’intérieur de ses navires. Il lui commande ensuite la décoration extérieure de deux navires de sa flotte. Arnould réalise les maquettes de peintures de proue pour le minéralier Le Brissac, mis à l’eau en 1961 à Nantes par les Chantiers de l’Atlantique, et en 1965 pour le pétrolier Bollstar, construit au Japon. Un peu comme pour un vitrail, les surfaces colorées étaient délimitées par des soudures en plomb, ce qui permettait, lors des escales, de restaurer la peinture à l’identique[6].

Notes

[1] Gwenaële Rot et François Vatin, Reynold Arnould, La poétique de l’industrie, Paris, Presses universitaires de Nanterre, 2019, p.128
[2] Voir Hélène Serre de Talhouët, « Placé pour être utile ». Georges Huisman à la Direction générale des Beaux-Arts, thèse, université de Lille III, 2015, p. 154-212.
[3] Cette œuvre est évoquée par Serge Reneau (avec la collaboration de Raymond Gosselin, « Au Havre, l’aluminium a pris des couleurs », in Cahiers d’histoire de l’aluminium, n°54, vol. 1, 2015, p. 9-31.
[4] Voir sur le groupe « Espace » L’été 1954 à Biot. Architecture, formes, couleur, Réunion des musées nationaux, Paris, 2016.
[5] Voir sur les relations art et architecture chez Bernard Zehrfuss, Christine Desmoulins, Bernard Zehrfuss, Gollion/Paris, Infolio/Éditions du Patrimoine, 2008. 
[6] « De l’art contemporain sur les bateaux de commerce. Le renouveau des figures de proue (1930-1970) », Artefact, n° 19, 2023 (avec Gwenaële Rot).

 
Biographie établie par François Vatin d'après Gwenaële Rot et François Vatin, Reynold Arnould. Une poétique de l'industrie, Paris, Presses universitaires de Nanterre, 2019
 
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