Les années au Grand-Palais

Bâtisseur et animateur

Reynold ARNOULD (1919-1980), Grand-Palais : nef et grande verrière, 1965-1970, dessin au stylo-feutre, 53,6 x 63,5 cm. Paris, Centre Pompidou - Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle, don de Succession Marthe Bourhis-Arnould en 1999. © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Bertrand Prévost
Reynold ARNOULD (1919-1980), Grand-Palais : nef et grande verrière, 1965-1970, dessin au stylo-feutre, 53,6 x 63,5 cm. Paris, Centre Pompidou - Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle, don de Succession Marthe Bourhis-Arnould en 1999. © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Bertrand Prévost
Le premier travail réalisé par Reynold Arnould au Grand-Palais est un travail de conception architecturale. Les croquis conservés au Centre Pompidou témoignent de sa contribution à la reconfiguration de l’espace, comme il avait, au Havre, contribué à la conception architecturale du musée. L’ouverture du nouvel espace d’exposition fut progressif, en trois phases : 1966, 1969 et 1970. Quand Malraux nomme Arnould, conservateur des musées de France, directeur des Galeries nationales du Grand-Palais, l’ambition du ministère de la Culture est de faire de cet édifice une sorte de Musée-Maison de la Culture nationale. Cette ambition sera déçue. Reynold Arnould y était pourtant attaché, comme en témoigne un courrier qu’il envoie au cours de l’été 1968 à Myriam Prévot, la codirectrice de la Galerie de France : « Il s’agirait […] de mettre en forme en effet un organisme (société, association, …fondation plus tard), destiné à promouvoir l’effort architectural exprimé, défini fermement dès le premier rapport donné au ministre à l’aube de ma mission, que je fais pour donner la dimension active sur tous les plans d’une véritable action culturelle ouverte -en dehors d’une mission principale d’expositions temporaires […]-, où [trouverait place] la musique, le cinéma, le théâtre d’avant-garde, les colloques … »[1]  Il envisage « à partir de ce centre culturel de 20 000 m², et j’ai le prototype que j’ai dessiné et qui est prêt », de mettre en place une « unité mobile d’intervention culturelle – dont l’esprit est approuvé par le cabinet », qui permettait d’organiser « des manifestations s’inscrivant souplement dans la vie urbaine, la campagne, les banlieues, les grands ensembles, les complexes industriels.[2]» Reynold Arnould n’a pas oublié l’expérience avortée du Havre, même s’il ajoute : « Un objectif en tous cas : ne pas en arriver sur le plan de la Direction et le statut général (ici national) aux incapacités nées –ainsi que des médiocrités- de la formule M.D.C. [Maison de la Culture]. J’en ai trop fait l’expérience que les faits font aujourd’hui surgir plus clairement »[3].

Un conservateur d’envergure politique

Reynold ARNOULD (1919-1980), Grand-Palais : nef et grande verrière (étude de scénographie pour exposition "Picasso"), 1965-1970, dessin au stylo-feutre sur papier calque, 50 x 65,4 cm. Paris, Centre Pompidou - Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle, don de Succession Marthe Bourhis-Arnould en 1999. © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Bertrand Prévost
Reynold ARNOULD (1919-1980), Grand-Palais : nef et grande verrière (étude de scénographie pour exposition "Picasso"), 1965-1970, dessin au stylo-feutre sur papier calque, 50 x 65,4 cm. Paris, Centre Pompidou - Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle, don de Succession Marthe Bourhis-Arnould en 1999. © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Bertrand Prévost
Mais le projet échoue et le travail de Reynold Arnould au Grand-Palais se borne finalement à accueillir des expositions, certes d’envergure. Ce ne sont pas moins de quatre-vingt-cinq expositions qui furent montées au Grand-Palais au cours des quatorze années de sa direction, exercée sous dix ministres de la Culture successifs. La première est, en 1966, la grande rétrospective de Pablo Picasso conjointement organisée aux Grand et Petit-Palais. Par un curieux hasard, c’est avec une nouvelle exposition Picasso (octobre 1979-janvier 1980), celles des œuvres reçues par l’État en droits de succession, que Reynold Arnould acheva sa carrière de conservateur. La liste de ces expositions présente un panorama historique de la peinture française de l’Ecole de Fontainebleau (1972) à Cézanne (1978), en passant par les frères Le Nain (1978) Chardin (1979), de David à Delacroix (1974), Millet (1975), Courbet (1977) et Puvis de Chavanne (1976) mais, surtout, un inventaire des grands artistes français du XXe siècle : outre Picasso, Chagall (1969), Matisse (1970), Hélion (1970), Léger (1971), Dubuffet (1973), Miró (1974), Picabia (1976), Derain (1977), Tal Coat (1976), Masson (1977), Rebeyrolle (1979). Les étrangers sont rares en revanche, à l’exception de Francis Bacon (1971), Barnett Newman (1972) et Ad Reinhardt (1973). Peu de sculpture : Henri Laurens (1967), Jean-Baptiste Carpeaux (1975). Il faut noter en revanche des expositions de conception originale, comme les hommages rendus aux éditeurs critiques d’art Christian et Yvonne Zervos en 1970 et Teriade en 1973 ou celle consacrée à Paulhan à travers ses peintres en 1974. Arnould fait également entrer la photographie sur les cimaises du Grand-Palais avec une exposition consacrée à son ami Henri Cartier-Bresson en 1970. Enfin, il faut isoler parmi toutes ces expositions, les deux seules dont Reynold Arnould a rédigé lui-même la préface : celles consacrées à André Beaudin en 1970 et à Georges Mathieu en 1978.
 
Certaines expositions ont une importance qui déborde le cadre strictement artistique. Le Grand-Palais est ainsi chargé de recevoir en 1972 une exposition, voulue par le Président Pompidou, consacrée à l’art contemporain depuis 1960 : Douze d’art contemporain. Les collectifs d’artistes engagés, actifs dans la période post-1968, protestent contre cet art d’État et certains invités refusent de participer. Le jour de l’inauguration, le 12 mai, une manifestation est réprimée par la police. En signe de protestation, le 17, certains artistes retirent leurs œuvres. Parallèlement, le public traditionnaliste s’offusque des œuvres présentées. D’autres expositions s’inscrivent dans le contexte de la politique étrangère de la France, dont Arnould devient un des ambassadeurs culturels. Ainsi, celle consacrée en 1966 à l’Art nègre, Dakar-Paris, reprise d’une exposition qui s’était tenue à Dakar dans le cadre du premier Festival mondial des arts nègres. En 1967, l’exposition sur l’Art russe, des Scythes à nos jours, Trésor des musées soviétiques, est également porteuse de significations diplomatiques. Elle est suivie en 1970 d’une exposition consacrée au centenaire de Lénine, à la suite de laquelle Reynold Arnould est invité en URSS. Six autres expositions sont organisées en collaboration avec les services culturels soviétiques et l’Action française d’action artistique entre 1972 et 1979, sans compter la monumentale exposition sur L’Or des Scythes de 1975. Sur l’autre versant de la guerre froide, deux expositions sont également organisées avec des institutions américaines, dont L’Art du réel USA, 1948-1968 en 1968. En 1972, Reynold Arnould est nommé directeur du musée national de l’amitié franco-américaine de Blérancourt dans l’Aisne, institution que l’on rattache pour lui au Galeries nationales du Grand-Palais. Deux expositions ont lieu au Grand-Palais pour le bicentenaire de l’Indépendance américaine en 1976. Du 15 février au 11 mars 1978, Reynold Arnould fait un voyage aux Etats-Unis au titre de ses fonctions de directeur de Blérancourt. D’autres échanges internationaux ont lieu avec la Suisse (1972), le Danemark (1973), la Tchécoslovaquie (1975), le Japon (1976), la Pologne (1977) dans un constant équilibre est-ouest, marque de la diplomatie française de l’époque. Il ne faut pas oublier l’Egypte, chère à sa femme Marthe, pays où il s’était rendu en 1967 pour concevoir décors et costumes pour un spectacle à Louxor. Deux grandes expositions d’égyptologie sont organisées au Grand-Palais : L’Egypte avant les pyramides en 1973 et Ramsès Le Grand en 1976. A l’occasion de ces expositions, Reynold Arnould fréquente les « grands de ce monde ». Sur les films tournés lors des inaugurations, on le voit à côté d’André Malraux ou de Jacques Chirac, de Léopold Sédar Senghor ou d’Henry Kissinger

Artiste malgré tout

On pourrait penser Reynold Arnould au fait de sa carrière. En 1973, il est nommé conservateur en chef. Au Havre, il avait été nommé chevalier des Arts et Lettres en 1962, puis avait reçu la Légion d’honneur de la main de Jean Cassou en 1963. En 1966, il est fait chevalier de l’Ordre national du Mérite et en 1967 Officier des Arts et Lettres. C’est un haut fonctionnaire de l’État honoré, en charge d’un des établissements culturels les plus prestigieux du pays. Mais de telles gratifications ne pouvaient le satisfaire. Reynold Arnould est d’abord un artiste et entend le rester. Depuis 1949, il a accepté des charges : professeur de beaux-arts à Waco, directeur des musées du Havre, directeur des Galeries du Grand-Palais pour pouvoir poursuivre son ambition artistique, forgée douloureusement dans l’enfance. Il pratique la double-journée, se lève à cinq heures du matin pour peindre pour mener ensuite sa vie de fonctionnaire.
 
Bureau de Reynold Arnould, directeur des Galeries nationales du Grand Palais, vers 1966. Collection Rot-Vatin
Bureau de Reynold Arnould, directeur des Galeries nationales du Grand Palais, vers 1966. Collection Rot-Vatin
Sa nomination au Grand-Palais ne lui fit pas changer sa conduite de vie. Il innove encore en renouvelant sa technique du portrait. Cet art, pratiqué depuis l’enfance, fait l’objet de sa dernière grande exposition à la Galerie de France en 1969 : Quarante ans de portraits, comme une histoire de sa vie d’artiste, depuis sa formation auprès de Jacques-Emile Blanche jusqu’à l’art cinétique de ses grands rouleaux de portraits composés, mis en mouvement sur un dérouleur [Voir Portraits et dynamisme]. Cette exposition est reprise aux musées du Havre, de Rouen, de Brest, ainsi que partiellement, à Toulouse et Montpellier. Mais ce n’est pas le seul travail personnel accompli par Reynold Arnould au cours de sa période parisienne. A la veille de sa mort, il préparait une exposition consacrée à un portrait imaginaire de Bonaparte. Durant toutes ses années, il conçoit de nouvelles tapisseries, dont certaines sont produites et poursuit la réalisation de grandes décorations murales, notamment dans des opérations de 1% culturel. Il faut d’abord achever le chantier ambitieux entamé à Caucriauville au Havre avec Bernard Zehrfuss, ce qui ne sera fait qu’en 1972. Il obtient d’autres chantiers : pour la gare d’Amiens en 1972, pour une nouvelle bibliothèque de la ville de Paris en 1975. D’autres projets entamés avorteront en raison de difficultés diverses et de son état de santé à Saint-Valéry en Caux, à la Ferté-Macé, au Havre encore (CES Basse Bretonne). [voir Œuvres monumentales > Le 1 % culturel]
 
Reynold Arnould à la cigarette en 1959. Collection Rot-Vatin
Reynold Arnould à la cigarette en 1959. Collection Rot-Vatin
Reynold Arnould est atteint d’un cancer du poumon. « Vous fumez trop, soignez votre santé », lui avait écrit le 10 octobre 1938 Fernand Guey, le directeur du musée de Rouen dans la lettre où il lui annonçait que le musée avait acquis son tableau présenté au Prix de Rome. Reynold Arnould n’a guère écouté ce conseil. Il a mené sa vie à grande vitesse. En 1978, quand il se rend aux Etats-Unis à titre de directeur du musée de Blérancourt, se sachant malade, il vend son atelier pour s’acheter un billet sur le Concorde. Ultime hommage rendu à la vitesse et à la technique par ce peintre du mouvement, ce poète de l’industrie.

Reynold Arnould décède à Paris le 23 mai 1980 à l’âge de 60 ans.

Notes

[1] Archives de la Galerie de France, Imec, Caen, dossier Reynold Arnould.
[2] Ibidem
[3] Ibidem
Biographie établie par François Vatin d'après Gwenaële Rot et François Vatin, Reynold Arnould. Une poétique de l'industrie, Paris, Presses universitaires de Nanterre, 2019
 
 

Illustrations