Reynold Arnould, Prix de Rome

Conquérir le « Prix de Rome »

Le 20 octobre 1937, Reynold Arnould est admis dans la classe de Fernand Sabatté à l’école des Beaux-Arts de Paris[1]. Dès cette première année et malgré son jeune âge, il est autorisé à concourir pour le Prix de Rome, ce qui est inhabituel. Il est pris en charge conjointement par son professeur officiel et par son protecteur, Jacques-Emile Blanche.
 
Reynold ARNOULD (1919-1980), Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front (1er second Grand Prix de Rome), 1938, huile sur toile, 114 x 146 cm. Rouen, musée des Beaux-Arts de Rouen. Achat par la ville de Rouen en 1938. Inv. 1938.3.6. © Réunion des musées métropolitains Rouen Normandie, cliché Agence La-Belle-Vie
Reynold ARNOULD (1919-1980), Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front (1er second Grand Prix de Rome), 1938, huile sur toile, 114 x 146 cm. Rouen, musée des Beaux-Arts de Rouen. Achat par la ville de Rouen en 1938. Inv. 1938.3.6. © Réunion des musées métropolitains Rouen Normandie, cliché Agence La-Belle-Vie
Il passe l’épreuve éliminatoire et est admis le 11 avril 1938 à « monter en loge », c’est-à-dire à s’isoler trente-six heures dans un local clos pour réaliser une esquisse sur un sujet imposé découvert le matin même. La thématique mise au concours cette année-là est : Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. Il dispose ensuite d’un peu moins de deux mois pour réaliser le tableau d’un format réglementaire de 114 par 146 centimètres. Il subit les conseils de ses deux maîtres : « Il faut que je montre encore l’esquisse à Sabatté puis à Blanche. Ah Tristesse. Plains ton ami ! » écrit-il le 24 avril à son ami Pierre Gresland[2]. Le 2 juillet, les loges sont ouvertes au public et au jury qui procède au classement, Reynold prend espoir en se comparant à ses concurrents. Mais son tableau n’obtient finalement, le 7 juillet 1938, que le premier second Grand Prix, semi-succès qui lui aurait valu une colère de son père. Jacques-Emile Blanche lui obtient toutefois un lot de consolation en faisant acheter l’œuvre par le musée de Rouen pour la somme de trois mille francs.
 
Reynold ARNOULD (1919-1980), La Paix, qui rapproche les peuples, ramène l’abondance à la terre et donne la joie de vivre (premier Grand Prix de Rome), 1939, huile sur toile, 114 x 146 cm. Paris, École nationale supérieure des beaux-arts. © Droits réservés
Reynold ARNOULD (1919-1980), La Paix, qui rapproche les peuples, ramène l’abondance à la terre et donne la joie de vivre (premier Grand Prix de Rome), 1939, huile sur toile, 114 x 146 cm. Paris, École nationale supérieure des beaux-arts. © Droits réservés
Il faut donc recommencer. La seconde année est plus difficile. « Je m’étouffe aux Beaux-Arts » écrit-il à Pierre Gresland pour lui annoncer le 3 avril qu’il « monte logiste ». En cette année 1939, le sujet imposé est d’une brûlante actualité : La paix, qui rapproche les peuples, ramène l'abondance à la terre et donne la joie de vivre. Jacques-Emile Blanche se démène pour faire obtenir le prix à Reynold Arnould. Membre de l’académie des Beaux-Arts, il fait partie du jury, comme son ami Maurice Denis à qui il écrit le 27 juin : « Je vous supplie de ‘faire l’impossible’ pour qu’il ait le Grand Prix. […] Ce dont je suis sûr, c’est que Reynold est la nature la plus distinguée parmi les élèves de l’Ecole »[3]. Blanche craint de ne pas pouvoir se rendre à la réunion du jury car sa femme vient de mourir à Offranville. Sollicité par Denis, il y participe finalement et Reynold Arnould obtient le Grand Prix le 5 juillet 1939. La prédiction de 1934 se réalise. Blanche a fait d’Arnould, à seulement 19 ans, un des plus jeunes « Prix de Rome ». Mais la guerre qui éclate deux mois plus tard prive le jeune peintre du séjour à Rome.

La villa « Il Paradiso »

Le bénéfice d’un Prix de Rome est un séjour de trois ans à la villa Médicis sur les hauteurs de la ville. Mais les Italiens, qui entrent en guerre au côté des Allemands en juin 1940, ferment la villa. Après l’Armistice, l’académie des Beaux-Arts à laquelle appartient la villa Médicis cherche une solution pour les Prix de Rome qui n’ont pas fini leur séjour ou pour ceux qui, comme Arnould, n’ont pas pu le commencer.
 
La Villa Il Paradiso en 1941. Photographie. extraite de L’Illustration, 10 mai 1941
La Villa Il Paradiso en 1941. Photographie. extraite de L’Illustration, 10 mai 1941
La ville de Nice se propose de mettre à sa disposition la villa « Il Paradiso » située sur la colline de Cimiez[4]. Nice vise un destin culturel et cherche à concurrencer Aix-en-Provence où est implantée une université. Mais le réaménagement de la villa prend du temps. Une inauguration a lieu le 7 novembre 1941, mais la villa « Il Paradiso » n’est alors pas encore prête à recevoir les pensionnaires. 
 
Reynold Arnould sur la Côte d’Azur avec Leonor Fini et le Prince Jean-Louis de Faucigny-Lucinge. Archives Leonor Fini. © Droits réservés
Reynold Arnould sur la Côte d’Azur avec Leonor Fini et le Prince Jean-Louis de Faucigny-Lucinge. Archives Leonor Fini. © Droits réservés
Reynold Arnould y passera deux saisons (février à juillet 1942 et septembre 1942 à mars 1943), entrecoupées par des séjours à Paris et en Normandie où ses parents se sont réfugiés. Il y rencontre André Pieyre de Mandiargues et Leonor Fini qui sont alors à Monte-Carlo. Il a avec Leonor une relation amoureuse brève mais intense.
Prospectus de l’exposition de Reynold Arnould à l’Office national du tourisme et de la propagande de la Principauté de Monaco, février 1943. 16 x 11,7 cm. Collection Rot-Vatin
Prospectus de l’exposition de Reynold Arnould à l’Office national du tourisme et de la propagande de la Principauté de Monaco, février 1943. 16 x 11,7 cm. Collection Rot-Vatin
En février 1943, il présente à Monte-Carlo sa première exposition personnelle.

Le règlement du Prix de Rome prévoit des « envois » annuels, codifiés pour chaque discipline (peinture, sculpture, gravure, composition musicale). Mais la guerre rend leur réalisation matérielle difficile, voire impossible : les matériaux manquent, les musées sont fermés, sans compter les restrictions alimentaires que les pensionnaires, mal payés, subissent comme presque tous les Français. Pourtant, le peintre Robert Poughéon, le directeur tardivement nommé en août 1942 pour remplacer Jacques Ibert qui a été démis, entend faire respecter scrupuleusement ce règlement au prix de conflits constants avec les pensionnaires. En dépit de toutes ses difficultés, Reynold Arnould a pu bénéficier de ce séjour. Il s’est éloigné de sa famille, dont l’atmosphère est délétère, mais aussi de la tutelle pesante de Blanche. Il a fait de nouvelles rencontres et a pu réfléchir sur la peinture : comment sortir de l’académisme sans renoncer aux acquis de sa formation ?[5]

En avril 1942, Henri Matisse dénonce dans un entretien radiophonique l’institution des Prix de Rome, selon lui totalement obsolète. Reynold Arnould, dernier prix de Rome de peinture en date, est chargé de lui donner la réplique dans Le Figaro. Il renvoie dos à dos l’art officiel d’État et l’art indépendant du marché : « Nous serions d'accord avec M. Matisse pour dire que l'École était le ‘tenant d'un art mort, non plus nécessité par son époque et la Vie’. Il n'en est pas moins vrai pourtant que la conception de ‘l'Art pour l'Art’, qui fut le grand cheval de bataille des indépendants, est un poncif aussi démodé, aussi dangereux que l'étaient les plus vieux poncifs de l'Art officiel. ‘A des temps nouveaux, un art nouveau’. Que ce ne soit plus celui d'hier ou d'avant-hier, mais celui de demain. L'heure est aux grands ouvrages, au travail d'équipe, d'atelier, il n'aura de valeur, comme disait Renoir, qu'animé d'un idéal. Nous le sentons monter en nous »[6]. Par-delà le contexte, l’ambition du jeune artiste, qui est aussi celui de sa génération, celle de la « nouvelle école de Paris » qui éclot alors, s’exprime dans ces propos.
Biographie établie par François Vatin d'après Gwenaële Rot et François Vatin, Reynold Arnould. Une poétique de l'industrie, Paris, Presses universitaires de Nanterre, 2019
 
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Notes

[1] Fernand Sabatté (1874-1940) enseigne à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris depuis 1929. Cet  élève de Gustave Moreau, Grand Prix de Rome 1900, membre depuis 1935 de l’Académie des Beaux-Arts, est alors un des professeurs les plus influents de l’Ecole.
[2] Gwenaële Rot et François Vatin, Reynold Arnould, La poétique de l’industrie, Paris, Presses universitaires de Nanterre, 2019, p. 196.
[3] Cité in Gwenaële Rot et François Vatin, op. cit., p. 201
[4] Voir sur l’histoire de cette institution éphémère :  Gwenaële Rot et François Vatin, « ‘Il Paradiso’ : un ersatz de la Villa Médicis (1940-1944) », Revue d’histoire culturelle, n° 6, 2023. Après la guerre, la villa « Il Paradiso » a accueilli le Conservatoire régional de musique, puis, quand un nouvel édifice a été construit à cette fin, divers services municipaux. En 2018, la ville de Nice décide de vendre cet édifice, ce qui a suscité de fortes oppositions. En février 2021, la ville avait trouvé un acquéreur, mais, le 1er septembre suivant, la villa, ses décors intérieurs et son jardin ont été classés « Monument historique » et la vente ne s’est pas faite ... L’édifice est toujours en attente d’un emploi à la hauteur de son histoire.

[5] On trouvera reproduit in Gwenaële Rot et François Vatin, op. cit., p. 382-383, un texte retrouvé de Reynold Arnould datant du printemps 1943, exprimant ses ambitions et ses inquiétudes de peintre à la fin de son séjour à la villa « Il Paradiso ».
[6] Cité in Gwenaële Rot et François Vatin, op. cit., p. 254

Illustrations