Acquisitions contemporaines pour le musée du Havre

« La vocation du Musée est de présenter les aspects les plus significatifs de l’Art de notre époque en France et dans le monde[1]. »
– Reynold ARNOULD

Avant l’ouverture du musée (1952-1960)

Vue du bureau du conservateur installé à l’Hôtel de Ville provisoire, vers 1953-1957. Le Havre, Archives du musée d’art moderne André Malraux
Vue du bureau du conservateur installé à l’Hôtel de Ville provisoire, vers 1953-1957. Le Havre, Archives du musée d’art moderne André Malraux
Reynold Arnould est nommé conservateur des musées du Havre le 1er juin 1952. Lorsqu’il prend ses fonctions, la tâche qui l’attend est considérable. Il doit non seulement inventorier les collections, concevoir le nouveau musée et en superviser la reconstruction, mais aussi mettre en œuvre une politique scientifique permettant de faire du nouveau musée du Havre un « foyer d’art, d’éducation et de culture au service de la communauté[2] ».
 
Vue du bureau du conservateur installé à l’Hôtel de Ville provisoire, vers 1953-1957. Le Havre, Archives du musée d’art moderne André Malraux
Vue du bureau du conservateur installé à l’Hôtel de Ville provisoire, vers 1953-1957. Le Havre, Archives du musée d’art moderne André Malraux
Avant même que les travaux de reconstruction n’aient commencés – ils ne débuteront qu’en 1958 – Reynold Arnould conçoit une politique d’acquisitions destinée à compléter les lacunes et les absences qu’il a constatées dans les fonds du musée. Fort de son expérience américaine et encouragé en ce sens par la Direction des musées de France, Reynold Arnould sait exactement ce qu’il souhaite pour le musée du Havre. Premier musée reconstruit de l’après-guerre, il doit présenter le visage de la France moderne, non seulement dans son architecture mais aussi dans ses collections. Dès 1952, il énonce sa volonté d’enrichir les collections d’œuvres d’artistes vivants afin d’offrir un panorama de la peinture contemporaine : « M. Reynold Arnould pense avec beaucoup de bons esprits que tout se tient dans les grands courants contemporains[3] ». Premier geste d’une ambitieuse politique d’acquisition, Reynold Arnould achète l’année de sa nomination deux huiles d’Édouard Pignon à la Galerie de France.
 
Dès 1953 la municipalité augmente le budget pour les acquisitions du musée, qui passe de 295 000 Francs[4] en 1952 à 600 000 Francs en 1953[5]. Cette hausse permet à Reynold Arnould d’acheter une série d’œuvres d’artistes vivants, qui lui semblent très importants pour compléter la collection. Des œuvres de Fernand Léger, de Jacques Villon, de Gustave Singier, d’Alfred Manessier, de Léon Gischia et d’André Lanskoy entrent ainsi dans les collections.
 
Vue de l’exposition De Corot à nos jours au musée du Havre, Paris, musée national d’art moderne (décembre 1953-janvier 1954)
Vue de l’exposition De Corot à nos jours au musée du Havre, Paris, musée national d’art moderne (décembre 1953-janvier 1954)
Dès 1952, la Ville du Havre et le musée national d’art moderne avaient imaginé le projet de présenter à Paris les collections du musée et le projet de reconstruction[6]. Cette exposition, intitulée De Corot à nos jours au musée du Havre est organisée au musée national d’art moderne de décembre 1953 à janvier 1954. Comme son titre l’indique, Reynold Arnould y réuni cent-dix-huit œuvres des périodes modernes et contemporaines. Il s’agit de démontrer que le musée du Havre a fait preuve dès son origine d’un intérêt pour l’art vivant, qu’il possède déjà des œuvres d’importance pour ces périodes et qu’il est par là-même légitimement destiné à poursuivre cette ambition d’offrir un « panorama de l’art français vivant, de l’art français en train de se faire ».
 
De 1954 à 1957, Reynold Arnould, composant avec les moyens limités que la Ville peut destiner à l’enrichissement des collections, réalise ses principales acquisitions contemporaines pour le musée du Havre. Ses amitiés avec différents milieux artistiques lui permettent d’acquérir directement des œuvres auprès d’artistes et d’obtenir des dons. Ainsi par exemple Le Ciel jaune de Mario Prassinos et Les Assiettes de Jacques Lagrange et Paysage adriatique de Zoran Music entrent en don dans les collections en 1953 et en 1954.
En 1956, le budget octroyé au musée pour les acquisitions passe à 750 000 Francs[7]. Cela permet à Reynold Arnould de compléter les collections modernes par l’achat d’œuvres d’Othon Friesz et de Raoul Dufy[8]. Dans l’esprit d’ouvrir les collections du musée aux artistes étrangers travaillant en France, il achète deux huiles à Zao Wou-Ki Growing et Nous deux et une composition de Maryan par l’intermédiaire de la Galerie de France ainsi qu’une sculpture de l’artiste Hsiung Ping-Ming lors du Salon de Mai. Il acquiert aussi une toile de John Levee au Salon des réalités Nouvelles, salon des défenseurs de l’abstraction.
Dans le même temps, Reynold Arnould répond également au souhait de la municipalité – qui lui fait confiance dans ses choix – de soutenir et d’encourager la création artistique havraise. Il fait donc l’acquisition d’œuvres aux artistes locaux parmi lesquels André Legallais. La plupart de ces œuvres ne sont pas destinées à être exposées au musée mais dans les services municipaux.
D’une manière générale les acquisitions contemporaines de Reynold Arnould reflètent son univers et ses préoccupations d’artiste. Le monde de l’art fonctionnant alors beaucoup autour des réseaux des marchands, Reynold Arnould achète des œuvres aux différentes galeries dont il est proche : la Galerie de France; qui le représente, ainsi qu’à la Galerie Louis Carré; la Librairie-Galerie La Hune et la Galerie Louise Leiris. Exposant régulièrement au Salon de mai il y achète des œuvres plusieurs fois, même si, on l’a vu, il fréquente aussi le salon des réalités nouvelles, un salon totalement abstrait.
Si elles ne vont pas chercher les avant-gardes les plus expérimentales et les plus révolutionnaires de son temps, les acquisitions de Reynold Arnould, qu’il partage entre représentants de la figuration et artistes totalement abstraits, n’en reflètent pas moins les préoccupations, les recherches et les débats qui agitent la scène artistique contemporaine, en particulier celui sur la relation de l’art avec le réel. La mise en perspective avec les acquisitions faites par Jean Cassou et Bernard Dorival au même moment pour le musée national d’art moderne permet de constater que Reynold Arnould achète pour le musée du Havre les mêmes artistes[9].
Désireux d’ouvrir les collections du musée à tous les arts plastiques et sensibles à différents moyens d’expression, Reynold Arnould fait l’acquisition en 1957 de deux plats de Picasso auprès de la galerie La Hune. Il semble que ce soient les premières céramiques éditées de Picasso à entrer dans une collection publique française. Un choix surprenant et audacieux, qui s’explique peut-être par le fait que les tableaux de Picasso étaient alors déjà hors des moyens du musée, mais aussi parce que ce travail sur la céramique était aussi la dernière actualité du maître espagnol. Après 1957 la collection de peinture est constituée. Reynold Arnould consolide alors la collection d’œuvres gravées contemporaines du musée, amorcée par son prédécesseur, Alphonse Saladin. Il achète à Henri-Georges Adam – qu’il connaissait depuis 1952 – vingt-quatre gravures. Puis il fait l’acquisition auprès de la Guilde internationale de la gravure de vingt lithographies contemporaines.
En 1960, les crédits alloués au musée pour l’achat d’œuvres sont doublés par rapport à l’année précédente pour atteindre 20 000 nouveaux Francs[10]. Reynold Arnould fait alors acheter sa toile Forer 1 après la présentation de son exposition Forces et rythmes de l’Industrie au Palais de la Bourse au début de l’année. Il acquiert ensuite deux tableaux de Jean Lasne, L’Embarquement pour Cythère et La Boîte à gouache à la veuve de l’artiste.
 
En complément de ses achats et des dons qu’il parvient à obtenir, Reynold Arnould enrichi aussi les collections du musée du Havre grâce aux dépôts. Si les conservateurs des musées ont souvent joué un rôle essentiel dans les choix et attributions des achats et commandes de l’État, il est toutefois difficile de mesurer la participation réelle de Reynold Arnould à cette politique par manque de sources sur le sujet. Il reste malgré tout certain que ses liens privilégiés avec les conservateurs du musée national d’art moderne – Bernard Dorival et Jean Cassou – et le bureau des Travaux d’art[11] lui ont permis d’obtenir des œuvres à titre de dépôts et peut-être à diriger certains achats dans cette perspective. Entre 1953 et 1960 une cinquantaine d’œuvres (tableaux, sculptures, gravures et céramiques) entrent ainsi dans les collections du musée sous forme de dépôt.
 
Marthe et Reynold Arnould dans le bar-club devant la tapisserie La Vague de Reynold Arnould, 1961
Marthe et Reynold Arnould dans le bar-club devant la tapisserie La Vague de Reynold Arnould, 1961
Enfin, pour l’ouverture du Musée – Maison de la Culture en 1961, Reynold Arnould fait lui-même don d’une gouache et de deux tapisseries dont l’une est destinée à orner les espaces intérieurs du musée.
 
Lors de l’inauguration du Musée-maison de la culture le 24 juin 1961 sont exposées, aux côtés des écoles anciennes, une grande partie des œuvres acquises par Reynold Arnould au cours des neuf dernières années. Le conservateur écrit ainsi dans le catalogue : « De 1952 à nos jours s’atténuent certaines insuffisances (Dufy, Friesz, Villon) et grâce à des achats, des dons et des dépôts appartiennent déjà au musée des toiles, dessins, gravures de peintres représentatifs des efforts de la peinture pour se réinventer sans cesse[12]. »

Après l’inauguration du Musée-maison de la culture du Havre (1961-1965)

En 1961, les crédits d’achats alloués au nouveau musée diminuent de moitié pour retrouver le montant de 10 000 nouveaux francs[13]. Cette diminution trouve son explication dans le changement d’orientation du bâtiment qui est devenu un Musée-maison de la culture. Ce statut oriente la politique scientifique du conservateur qui privilégie désormais la programmation culturelle et l’organisation d’expositions temporaires. Les nouvelles acquisitions sont étroitement liées aux expositions. En revanche, les dons d’artistes deviennent plus fréquents. En 1962, l’exposition Roger Chastel, peintre organisée au Musée-maison de la culture est l’occasion pour l’artiste de faire don d’une toile peinte en 1945, Cheminée d’Hôtel, en remerciement Le musée reçoit ainsi des dons d’œuvres de Jacques Zwobada, de Charles Walch et de Mario Prassinos en 1964 puis en 1965 à l’issue des expositions de ces artistes.
 
Vue de l'expsoition Raoul Dufy, 70 œuvres léguées au musée du Havre du 29 juin au 30 septembre 1963
Vue de l'expsoition Raoul Dufy, 70 œuvres léguées au musée du Havre du 29 juin au 30 septembre 1963
Les achats que Reynold Arnould réalise sont, quant à eux, en lien direct avec la programmation culturelle qu’il propose au Musée-maison de la culture. Il fait par exemple l’acquisition d’une toile de Jean Piaubert en 1963 et en 1965. Enfin, en 1963, le musée du Havre reçoit le legs de Madame Dufy[14], riche de soixante-dix œuvres de l’artiste (trente huiles sur toile, trente dessins, cinq aquarelles, trois vases, une tapisserie et un buste en bronze). Cet important legs – qui constitue aujourd’hui le cœur de la collection Dufy – fait l’objet d’une exposition, Raoul Dufy : 70 œuvres léguées au musée du Havre par Mme R. Dufy présentée au Musée-maison de la culture du 29 juin au 30 septembre de la même année.
 
Avant de quitter définitivement le musée du Havre pour les Galeries nationales du Grand Palais, Reynold Arnould achète un dessin de à l’artiste Magdeleine Vessereau, Perspective blanche ou Forêt de Fontainebleau. Il s’agit de la dernière œuvre acquise par le conservateur au terme de ses treize années de fonctions au musée du Havre.
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Notes

[1] ARNOULD Reynold, Catalogue des œuvres appartenant aux collections de la ville du Havre présentées à l’occasion du Musée-Maison de la Culture, 24 juin 1961, Le Havre, Ancienne Imprimerie Etaix, 1961
[2] Le nouveau musée du Havre. Foyer d’art, d’éducation, de culture au service de la communauté. » Dossier Reynold Arnould, notes, archives MuMa.
[3] RENAUDIN André « Un musée transatlantique, tête de pont entre deux continents pourrait être créé de toutes pièces, au Havre » in. Paris-Normandie, 14 juin 1952.
[4] Budget de la Ville du Havre, exercice 1952, chapitre XXIX, article 7. Archives municipales du Havre, Fonds contemporain, 569W2.
[5] Budget de la Ville du Havre, exercice 1953, chapitre XXIX, article 7. Archives municipales du Havre, Fonds contemporain, 569W2.
[6] Lettre de Bernard Dorival à Pierre Courant, Maire du Havre, du 7 novembre 1952 (AN 20144707-195-36)
[7] Budget de la Ville du Havre, exercice 1956, chapitre XXIX, article 7. Archives municipales du Havre, Fonds contemporain, 569W2.
[8] En 1956 Reynold Arnould fait l’acquisition d’une toile d’Othon Friesz, Femme en tenue de chasse, auprès de la Galerie Jacques Hamon, au Havre. L’année suivante il tente de constituer un fonds Dufy et achète deux œuvres : un dessin, La Plage du Havre, et une huile Souvenir du Havre.
POIVET-DUCROIX Clémence, « Le legs de 1963 ou “le retour du cœur de Raoul Dufy au Havre” », in. Musée d'art moderne André Malraux, Dufy au Havre, Paris, Mare et Martin, 2019, p. 28. A consulter en ligne
[9] Bernard Dorival, L’École de Paris au musée national d’art moderne, Paris, éditions Aimery Somogy, 1961
[10] Le 1er janvier 1960 le nouveau franc entre en circulation dans le pays. La valeur d’un nouveau Franc est égale à 100 anciens Francs. La somme de 20 000 nouveaux francs (budget du musée pour l’achat de tableaux et d’objets d’art) équivaut ainsi à 2 000 000 Francs. Budget de la Ville du Havre exercice 1960, chapitre XXIX, article 7, Archives municipales du Havre, FC 359W5.
[11] Sur le rôle et les missions du bureau des Travaux d’art voir COLLECTIF, Un art d’état ? Commandes publiques aux artistes plasticiens : 1945-1965, Paris, éditions Presses Universitaires de Rennes et Archives nationales, 2017 (notamment les articles de Clothilde Roullier et Julie Verlaine), pp 15-49.
[12] ARNOULD Reynold, Catalogue des œuvres appartenant aux collections de la Ville du Havre présentées lors de l’inauguration du Musée-maison de la culture, 24 juin 1961, Le Havre, ancienne imprimerie Etaix.
[13] Budget de la Ville du Havre exercice 1961, chapitre XXIX, article 7, Archives municipales du Havre, FC 359W5.
[14] POIVET-DUCROIX Clémence, « Le legs de 1963 ou “le retour du cœur de Raoul Dufy au Havre” », in. Musée d'art moderne André Malraux, Dufy au Havre, Paris, Mare et Martin, 2019, pp. 27-33. A consulter en ligne
Par Claire Rançon et Clémence Poivet-Ducroix, MuMa Le Havre

Illustrations