Les Préparations

Boudin abandonne le commerce pour se consacrer à la peinture à l’âge de vingt-deux ans. Ses contemporains, Alexandre Cabanel (1823-1889), Jean-Léon Gérôme (1824-1904) et William Bouguereau (1825-1905) ont déjà acquis une solide formation. Gérôme a même connu le succès au Salon. S’il a encore tout à apprendre, Boudin a des convictions artistiques, qui lui feront refuser d’emblée l’académisme et progressivement le romantisme : « les romantiques ont fait leur temps. Il faut désormais chercher les simples beautés de la nature » [journal, 23 février 1856, musée du Louvre].

Il prend pour référence les maîtres néerlandais du Siècle d’or et, parmi les contemporains, les peintres de l’école de Barbizon, dont il a connu certains des représentants lorsqu’il était papetier au Havre. En 1851, il obtient de la Ville du Havre une bourse d’études de trois ans. Mais, au lieu de s’inscrire dans l’atelier d’un peintre parisien réputé, comme cela lui était demandé, il s’inscrit comme copiste au Louvre et travaille sur le motif, en Normandie, ce qui suscite un certain mécontentement au Havre. Boudin fait déjà preuve de cet esprit d’indépendance qui le caractérisera tout au long de sa carrière.

Après ces trois années, Boudin doit vivre de sa peinture. Il s’essaie donc à différents genres, susceptibles de plaire à la clientèle havraise : natures mortes, paysages… Mais il rencontre peu de succès et traverse une période difficile, moralement et financièrement. Néanmoins, c’est probablement au cours de l’été 1856 qu’il convainc le jeune Claude Monet (1840-1927) de venir travailler avec lui sur le motif. À la fin de sa vie, Monet se souviendra avoir été fasciné par « ses pochades, filles de ce que j’appelle l’instantanéité » [à Gustave Geffroy, 8 mai 1920].

Boudin travaille alors beaucoup de part et d’autre de l’estuaire de la Seine. Confronté aux effets lumineux particulièrement fugitifs de ce lieu, il a développé une technique extrêmement rapide. Il rompt ainsi avec l’approche traditionnelle du paysage qui, depuis le moyen âge, s’appuyait sur le cycle des saisons. Charles Baudelaire (1821-1867), qui découvre en 1859, dans l’atelier honfleurais de Boudin, ces études « si rapidement et si fidèlement croquées d’après ce qu’il y a de plus inconstant, de plus insaisissable dans sa forme et dans sa couleur, d'après des vagues et des nuages » perçoit immédiatement l’aspect novateur de cette démarche. Mais il s’agit d’études et de pochades. Lorsque Boudin veut transposer l’atmosphère de plein air dans un ambitieux tableau de Salon, Le pardon de Sainte-Anne-la-Palud au fond de la baie de Douarnenez (Finistère), il échoue. « Je trouve cela sans largeur, sans souplesse, sans neuf, c’est un tableau de commençant » note-t-il dans son journal [27 janvier 1859, musée du Louvre].
Amère constatation pour un artiste qui travaille avec acharnement depuis près de quinze ans.
Eugène BOUDIN (1824-1898), Pardon of Ste-Anne-La-Palud, 1858, oil on canvas, 87 x 146.5 cm. © MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn
Eugène BOUDIN (1824-1898), Pardon of Ste-Anne-La-Palud, 1858, oil on canvas, 87 x 146.5 cm. © MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn