Animaux

En 1850, plusieurs personnalités des arts et des lettres interviennent auprès de la ville du Havre en faveur de Boudin. Parmi ces personnalités, Constant Troyon (1810-1865), peintre animalier très en vogue. Troyon a reçu la Légion d’honneur en 1849 et l’un de ses tableaux, Vue des environs de Sézanne, acheté par l’État, a été déposé au musée du Havre en 1850.

La ville accepte de verser à Boudin une bourse d’études de trois ans. En contrepartie de cette aide, le boursier doit livrer chaque année une œuvre destinée au musée de la ville. En 1853, Boudin copie au Louvre La Prairie de Paulus Potter (1625-1654). Ce peintre animalier néerlandais est alors considéré à l’égal de Rembrandt. Boudin montre dans cet exercice un réel talent de copiste. À la fin de sa vie, il écrira : « Moi-même, si j’avais été homme à m’y prêter, que n’aurais-je pas trempé dans ce honteux métier de plagiaire ! […] » [à Allard, 4 juillet 1895, collection particulière].

Cette aptitude est utilisée par Troyon. Submergé de commandes, celui-ci fait appel à Boudin pour préparer un certain nombre de toiles, à partir des études réalisées par le maître. Nul doute que l’exercice est particulièrement formateur. Sans doute Boudin aurait-il connu le succès, s’il avait accepté de pasticher Troyon. Mais, il préfère suivre sa propre voie. Peignant sur nature dans une campagne normande célèbre pour la qualité de ses herbages, il ne peut ignorer vaches et bœufs, qu’il représente alors d’une manière descriptive. Il dessine également des troupeaux de moutons, thème cher à Jean-François Millet (1814-1875), qui fut aussi l’un de ses conseillers, au Havre.

Quand il travaille sur les marchés, en Normandie ou en Bretagne, il dessine volailles et porcs. Les canards des bords de Seine apparaissent dans diverses peintures de Boudin, sans doute inspiré par Troyon et par Charles-François Daubigny (1817-1878) qui introduisent souvent ces volatiles dans leurs paysages. Compagnon du pêcheur comme du paysan, le cheval de trait est peint sur les plages ou encore à l’étable. Le cheval de selle est un élément indissociable de Deauville, tout comme les chiens de compagnie. Ces représentations animalières épisodiques contribuent à la dimension sociale - souvent oubliée - de l’œuvre de Boudin.

À partir de 1875, le commerce d’art est frappé par la grande dépression. Si la peinture contemporaine ne se vend plus, celle plus ancienne, et notamment de l’école de Barbizon, fait l’objet de spéculations. Boudin profite de cet engouement pour renouer avec ses premiers essais : « Vous m’avez parlé de tableaux d’animaux et à cet effet, j’en avais poussé quelques-uns, pouvant dans une certaine mesure ressembler à des Troyons, au moins par le sujet... » [à Durand-Ruel, 19 septembre 1887].

Toutes les occasions sont prétexte à « bœuffer » : troupeaux sur les quais du Havre, dans la vallée de la Touques ou mis à brouter sur le champ de courses de Deauville, où le peintre Henri-Michel Lévy (1845-1914) surprend Boudin au travail. Le véritable sujet observé par Boudin n’est plus l’animal, mais les effets de la lumière sur les formes. Dans ses études de troupeaux des années 1880, Boudin s’achemine vers la peinture pure. Vingt ans plus tard, Piet Mondrian (1872-1944) peindra lui aussi des troupeaux avant de s’affranchir de la figuration.