De l’intransigeance d’un conservateur

En clin d’œil à l’achat exceptionnel en 2019 de l’œuvre fauve d’Albert Marquet, Le Havre, le bassin (1906) par le MuMa, nous voulions partager ici le destin ironique d’une autre toile de Marquet, Le Port de Fécamp (1906), lié à celui de deux vues du port du Havre de Camille Pissarro, L'Anse des Pilotes, Le Havre, matin, soleil, marée montante (1903) et L'Anse des Pilotes et le brise-lames est, Le Havre, après-midi, temps ensoleillé (1903).
Albert MARQUET (1875-1947), Le Port de Fécamp, 1906, huile sur toile, 65 cm x 81 cm. Musée des beaux-arts de Quimper, dépôt de l'État en 1913. © Musée des beaux-arts de Quimper
Albert MARQUET (1875-1947), Le Port de Fécamp, 1906, huile sur toile, 65 cm x 81 cm. Musée des beaux-arts de Quimper, dépôt de l'État en 1913. © Musée des beaux-arts de Quimper
Marquet vient retrouver son ami Raoul Dufy au Havre en 1906. Cette année-là, s’ouvre la première exposition organisée par le Cercle de l’art moderne qui accueille quelques-uns des artistes fauves, qui ont fait scandale au Salon d’Automne à Paris en 1905. Liés aux peintres havrais Dufy, Braque et Friesz, les fauves trouvent dans le port normand un accueil favorable auprès des collectionneurs qui n’hésitent à acheter leurs œuvres. Marquet, en particulier, a la faveur de tous : Olivier Senn, Charles-Auguste Marande, Edouard Lüthy, George Dussueil, Peter Van der Velde

A l’issue de l’exposition, Marquet et Dufy parcourent ensemble la côte normande, s’arrêtent à Fécamp, prolongent leur pérégrination à Trouville, et surtout peignent au Havre, pavoisé à l’occasion du 14 juillet et de la fête maritime internationale.
 
Le Port de Fécamp, peint cet été là, est acquis par l’Etat et déposé, à la demande de l’artiste, au musée du Havre le 29 décembre 1906. Le conservateur, Alphonse Lamotte, qui s’était déjà farouchement opposé à l’acquisition trois ans plus tôt de deux toiles de Pissarro, trouve là un nouveau cheval de bataille. Le conservateur n’a de cesse de se débarrasser de ce dépôt. Malheureusement, si l’engagement et la ténacité des membres du comité d’achat du musée, favorables à l’art moderne et eux-mêmes collectionneurs avisés avaient eu raison des résistances de Lamotte en 1903 - et avaient permis aux deux peintures de Pissarro de rejoindre les cimaises du musée -, elles furent impuissantes face à la détermination du conservateur. Cédant finalement aux injonctions de Lamotte, le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts demanda donc en 1913 la restitution de l’œuvre déposée et l’attribua finalement au musée de Quimper, privant le musée du Havre d’une belle œuvre fauve.
 
Marquet, qui  avait trouvé auprès des collectionneurs havrais des acheteurs réguliers et fidèles, prit la chose avec humour et philosophie, comme il l’écrivit à Aubry « L’histoire des démêlés de mon tableau  avec le farouche conservateur du Havre m’a beaucoup amusé et je ne doute pas un instant que cela ne tourne à sa confusion, en tous cas je vous suis bien reconnaissant de tout ce que vous faites pour cela ».

Il faudra attendre le départ de Lamotte  pour qu’une œuvre de Marquet, L’Avant-port du Havre ou L'Anse des pilotes du Havre (1934) entre finalement dans les collections du musée…  en 1935.
Billet de blog du vendredi 15 novembre 2019

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