Que fait la nuit à la peinture ?

James Whistler, Nocturne en noir et or-La boule de feu, 1875. Detroit
James Whistler, Nocturne en noir et or-La boule de feu, 1875. Detroit
  • CONFÉRENCE
Par Itzakh Goldberg

Par Itzakh Goldberg, historien de l’art, critique d’art et commissaire d’exposition, spécialiste de l’art moderne et contemporain.

« A priori, tout oppose la nuit aux visées de la peinture. Cette discipline, qui tente de former au moins depuis la Renaissance une perception claire et cohérente de l'homme dans un environnement architectural ou naturel, a tout à craindre de la voie lactée qui oblitère les contours des formes et brouille les distances. Mais, curieusement, la composition picturale tracée par la perspective linéaire, évoque immédiatement un dispositif baptisé justement camera obscura, chambre noire.
Il faut toutefois attendre les romantiques pour qui la nuit - en réaction au siècle des Lumières ? -  met en scène le moment où les contours précis se perdent, où la réalité se dérobe à son apparence habituelle. Ce dialogue avec les zones obscures de la nature introduit pour la première fois l'intuitif, l’irrationnel, que l’on peut assimiler parfois à l'invisible, sera poursuivi par toute une partie de la modernité.
Cependant, une remarque s'impose immédiatement au sujet de la distinction entre nuit et obscurité. La nuit restera toujours un phénomène naturel, cyclique, tandis que l'obscurité, cette simple opacité de la lumière, peut se produire indépendamment de l'heure de la journée. Dans l'univers pictural il est souvent difficile de faire une différence entre l'obscurité ou tout simplement l'emploi massif de la couleur noire sur la toile. Cette difficulté, voire l'impossibilité de distinguer entre ces différents phénomènes, est la source d’une certaine ambiguïté mais aussi toute la richesse de ce thème.
La dissolution des formes qui s’estompent sous une lumière incertaine annonce l’avènement de la non-figuration. Le dialogue avec l’obscurité devient parfois prétexte pour une expérience radicale de la peinture (voire le Carrée noir sur blanc, 1915, de Malevitch). A l’aide d’exemples précis on suivra ce parcours dans la nuit. »
Itzakh Goldberg