Les Renouvellements

En 1890, à la demande de Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898), Boudin abandonne le Salon des artistes français et rejoint la Société nationale des beaux-arts, dissidente. C’est l‘indice d’une certaine indifférence à l’égard du monde officiel. Boudin se dit en effet « un peintre que j’appellerai indépendant c’est-à-dire ne relevant pas des écoles consacrées… et sacrées… » [à Charles Ricada, 31 juillet 1888]. Néanmoins, à la fin de l’année 1892, Puvis lui remet la Légion d’honneur.

Boudin fait alors de brefs séjours en Picardie et dans le Pas-de-Calais. Sa parfaite maîtrise technique lui permet de traiter les sujets habituels avec brio, mais sans véritable renouvellement. Lors d’un séjour à Étretat, en 1890, apparaissent les signes précurseurs d’une évolution. Boudin inaugure certaines compositions inattendues et le chromatisme est plus fort. Sans doute éprouve-t-il alors le désir de relever de nouveaux défis. L’occasion lui en est donnée en 1892 lorsque, pour des raisons de santé, il doit se rendre sur la Côte d’Azur. Boudin se trouve alors confronté à une gamme colorée nouvelle et à une puissance lumineuse telle qu’il doit intensifier considérablement les tons de sa palette.

Boudin rencontre alors la compagne de ses dernières années. Celle-ci a été soupçonnée d’avoir circonvenu le vieux peintre. Il n’en demeure pas moins qu’elle lui a apporté une véritable joie de vivre. Elle lui a également permis de réaliser plusieurs voyages dont il avait toujours rêvé. En 1895, ce sera la Toscane puis Venise et la Suisse. Boudin n’a laissé aucune vue de la Toscane ni de la Suisse. En revanche, Venise lui inspire un grand nombre de peintures et de dessins. Trois groupes d’œuvres peuvent être distingués dans cet ensemble : d’abord les variations à partir d’un même point de vue, ensuite les représentations de la Venise moderne, avec ses navires à vapeur, et enfin les études libres. Boudin considérera sa production vénitienne comme son chant du cygne.

Les œuvres peintes à Dieppe ou à Deauville, en 1896, sont extrêmement claires. La technique, devenue particulièrement allusive, laisse une place importante au vide. La matière est transparente. Le jeu du pinceau très libre n’est pas sans évoquer l’abstraction lyrique.
Au début de l’été 1897, alors que Boudin est déjà très malade, il se rend en Bretagne. Fort de ses récentes expériences picturales dans le Midi et à Venise, il offre de la Bretagne une vision entièrement renouvelée. Le paysage, dénué de présence humaine, apparaît bien souvent comme un pur espace pictural.
 
Eugène BOUDIN (1824-1898), Le Clocher Sainte-Catherine à Honfleur, ca. 1897, huile sur bois, 55 x 43 cm. © Honfleur, musée Eugène Boudin / Henri Brauner
Eugène BOUDIN (1824-1898), Le Clocher Sainte-Catherine à Honfleur, ca. 1897, huile sur bois, 55 x 43 cm. © Honfleur, musée Eugène Boudin / Henri Brauner
Au début de l’automne, ce sera l’ultime séjour à Honfleur. Il peint le marché place Sainte-Catherine et une série de vues du port. L’écriture de Boudin est à la fois assurée et variée. L’artiste suggère plus qu’il n’impose. Seul l’essentiel est là : le ciel, mouvant dans son extrême légèreté, et surtout la lumière triomphante. Boudin conclut magistralement sa carrière picturale là où il l’avait commencée, en bordure de l’estuaire de la Seine.
 
Sauf mention contraire dans le texte, toutes les citations sont extraites de la correspondance d’Eugène Boudin conservée à l’Institut national d'histoire de l'art (INHA).