Les acquisitions récentes

Hippolyte FIZEAU

Un ensemble exceptionnel d’images daguerriennes

L’oeuvre havraise d’Hippolyte Fizeau représente près d’un tiers de sa production de plein air, ou tout du moins de ce qui en a été publié. Elle consiste en un ensemble de huit vues portuaires, littorales ou périurbaines, enregistrées durant l’été 1840, lors d’une seule excursion au Havre, à Sainte-Adresse et à Harfleur.

Malgré leur format réduit (sixième, quart ou demi-plaque), ces objets uniques et précieux possèdent le charme et la force de suggestion propres aux plus beaux daguerréotypes. Pour la première fois, un panorama du Havre entouré de ses fortifications est donné à voir, tel qu’il s’offrait aux yeux des contemporains de Louis-Philippe. D’autres vues de la série constituent sans conteste les plus anciennes marines de l’histoire de la photographie.

Toutes ces images sont le fruit d’une excursion que Fizeau s’offrit avant de faire son entrée à la faculté de médecine de Paris, elles constituent donc aussi un témoignage rare des balbutiements de la photographie de voyage. l’acquisition a été réalisée par la Bibliothèque municipale du Havre, en 2022, avec l’aide de l’Etat (ARPIN), et des mécènes Transdev, Unifer environnement, École de management de Normandie.

Alfred Coulon et la côte normande

Alfred Coulon était quasiment inconnu jusqu’à
la vente récente de ses nombreux albums
de photographie dont plusieurs consacrés
à la Normandie. Ces derniers illustrent à
merveille l’attrait que la région a exercé sur les
photographes du Second empire. Monuments,
paysages, scènes de genre et marines y sont
à portée d’objectif quand on maîtrise les
subtilités de la prise de vue. Ce juriste parisien,
artiste dans l’âme, est membre de la Société
française de photographie à partir de 1858.
Il y rencontre Olympe Aguado et Henri de la
Blanchère tous deux élèves de Gustave Le Gray,
puisque certains de ses albums comportent
de nombreux tirages de ces deux excellents
praticiens.
L’exposition rassemble deux albums
personnels de Coulon.
Le premier, constitué de 112 tirages, souvent
de petits formats alors que les sujets
sont ambitieux, est presqu’exclusivement
consacré aux photographies qu’il réalise sur
la côte normande, entre 1863 et 1874, miroir
de vacances familiales et d’escapades locales
à Houlgate, Cabourg, Trouville, Dives-sur-Mer,
Villers-sur-Mer. La villa familiale de Cabourg
surplombant le front de mer est un des motifs
qu’il utilise pour donner libre cours à son
goût pour la mise en scène sous forme de
frontispices, de photomontages plus ou moins
heureux requérant aussi la technique des ciels
rapportés.
Sa composition réalisée à partir d’une scène
de baigneurs et d’estivants sur la plage
combinée au Vapeur de Gustave Le Gray est
particulièrement évocatrice de son style. Elle
crée une confusion entre l’art et la réalité,
puisqu’on ne sait plus si les personnages
admirent le spectacle des bateaux ou un chef
d’oeuvre de Gustave Le Gray.
Cet album a été acquis par les Archives
départementales du Calvados en 2023.
Le second album présente 194 vues entre 1861
et 1868. Coulon allie ses propres photographies
à un ensemble d’oeuvres majoritairement
normandes de ses confrères. Il fréquente la
fine fleur des photographes de son temps. On y
trouve des clichés d’Alfred Boulland avec envoi
(vues de Dives-sur-Mer, le pilote-sauveteur),
des marines havraises d’Auguste Autin, des
vues de Granville attribuables à Alfred Magny,
ou encore des photographies d’Henri de La
Blanchère (Nantes, Clisson), et d’Auguste
Collard (Viaduc du canal à Briare, 1861). Dans
cette démarche, Coulon suit l’exemple de ses
contemporains férus de photographie : l’album
constitué par Alphonse de Brébisson, conservé
par le musée d’Orsay, fait figure de modèle en
ce qu’il regroupe les oeuvres de grands noms
de son temps.
Ce album a été acquis par la Bibliothèque
municipale du Havre en 2023.
À travers les vues normandes de Coulon,
on assiste à la métamorphose de la côte du
Calvados et à la construction des villas de
Cabourg. Les scènes familiales regroupent
femmes en crinoline sur le sable, enfants en
costume de bain armés de leurs pelles et filets
de pêche, chiens fidèles ou assoupis aux pieds
de leurs maîtres.

Gustave LE GRAY (1820-1884)

Le Gray est sans conteste l’un des grands photographes du xixe siècle aussi bien pour ses découvertes (négatif sur papier ciré sec, négatif sur verre au collodion) déclinées dans quatre manuels, que pour sa maîtrise technique des procédés les plus complexes (négatifs de grande taille, doubles négatifs, maîtrise de l’instantané), que pour son immense talent artistique appliqué à tous les sujets (portraits, paysages, marines, vues d’architecture…). Pendant la seconde partie des années 1850, il se rend célèbre pour ses marines, ses vues de port et de bords de mer. Réalisées en Normandie à partir de 1856, elles provoquent l’admiration de la critique et du public international. En Normandie c’est particulièrement Le Havre et Sainte-Adresse qu’il représente en 1856, puis Cherbourg en 1858 lors de l’inauguration du port et de la gare par le couple impérial.

Hippolyte MACAIRE (1804-1852)

Installé à l’été 1850 sur la jetée nord, au Havre comme artiste peintre, il s’associe avec son frère photographe, Louis Cyrus, à son retour d’Amérique. Tous les deux sont recensés comme daguerréotypistes dans les Annuaires du commerce (1851-1852). Les deux frères sont à l’origine de l’instantanéité appliquée à la photographie de marine, leur réalisation étant présentée en 1851 à l’Académie des sciences.

Henry Fox TALBOT (1800-1877)

Mathématicien, érudit, scientifique, ce pionnier de la photographie est indissociable de l’invention du calotype ou talbotype en 1841 : à partir d’un négatif papier, il obtient une image positive. Ses recherches contemporaines de celles de Daguerre en France, aboutissent à un procédé différent permettant la reproductibilité de l’image obtenue. En 1844, il publie The Pencil of nature, premier livre à être illustré de photographies. En 1852, il met au point un procédé de photogravure en vue de reproduire les images via l’imprimerie. Dans le but de faire reconnaître en France son invention, sur le chemin de Calais à Paris, il séjourne à Rouen en 1843, où il réalise les premiers calotypes de la ville : vues du Palais de justice, du pont suspendu, de la Seine et du port, depuis la fenêtre de sa chambre d’hôtel.

Jean-Victor WARNOD (1812-1892)

Troisième des frères Macaire, Jean-Victor qualifié de commerçant, devient professeur et maître de pension puis éditeur associé à Hetzel. Pour se démarquer de ses frères, il obtient en 1847 de substituer à son patronyme celui de sa femme, Warnod. Sous ce nom, il signe des écrits politiques républicains en 1848, comme secrétaire spécial du club démocratique central de la garde nationale, à Paris. Après le dépôt en 1850 d’un brevet de « Système d’annonces », il s’associe au Havre à son frère Louis Cyrus en 1852 pour reprendre l’atelier de la jetée nord créé par leur aîné Hippolyte. Tous deux fondent à Paris, en 1853, l’établissement « Macaire, Warnod et cie » chargé de développer un musée général de photographie. Warnod se retire en 1855 pour investir dans l’exploitation charbonnière. En 1858, il crée un atelier photographique au Havre sur la jetée. Warnod poursuit son activité jusqu’en 1865. Nadar classe Warnod parmi « les primitifs de la photographie » et rappelle qu’il participa à l’exposition de Paris au Palais de l’industrie, en 1855 : « On ne saurait omettre les impeccables positifs sur verre de Warnod. Mais quoi : Warnod était un esthète éminent, écrivain de réelle valeur ».