Pierre-Auguste Renoir, Pins à Cagnes

Le MuMa abrite plusieurs œuvres exécutées dans un ultime élan créatif par des artistes majeurs. Le 19 novembre, le musée a invité le public à redécouvrir une œuvre de Renoir. Retour sur la vie de l'artiste et l'histoire de son œuvre.
Pierre-Auguste RENOIR (1841-1919), Pins à Cagnes, ca. 1919, huile sur toile marouflée sur carton bouilli, 31,5 x 38,7 cm. © MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn
Pierre-Auguste RENOIR (1841-1919), Pins à Cagnes, ca. 1919, huile sur toile marouflée sur carton bouilli, 31,5 x 38,7 cm. © MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn
Pierre-Auguste Renoir, Pins à Cagnes par Gaëlle Cornec et Yannick Angelini

Biographie

Cagnes n’est pas une destination pour Renoir, mais un lieu de vie. C’est à Cagnes, où il a peint ce paysage, qu’il réside depuis 1907 et qu’il meurt en 1919. Renoir est né à Limoges en 1841, et sa famille a déménagé à Paris alors qu’il avait trois ans. Autant dire que qu’il est Parisien. Son père est tailleur, et lui-même est vite placé en apprentissage pour apprendre un métier : peintre sur porcelaine, sur paravents, fresquiste pour bistrots parisiens. Puis vient l’atelier Gleyre et la rencontre avec les futurs impressionnistes.
 
Les voyages ne sont pas le trait dominant de Renoir, et sa notoriété de peintre ne s’appuie pas sur les paysages. Pourtant il a voyagé en France et à l’étranger. Ces voyages n’ont pas beaucoup servi à alimenter ses motifs, mais ont nourri son œil. Il a peint des paysages toute sa vie, considérant qu’ « un peintre ne peut pas être grand s’il ne connaît pas le paysage ».
 
Comme pour Eugène Boudin, les premiers voyages dans le Sud sont conseillés par les médecins : un changement de climat pourra soulager ses problèmes pulmonaires et ses douleurs de polyarthrite rhumatoïde. En 1907, l’achat de la propriété Les Collettes à Cagnes se fait par un concours de circonstances. Les arbres de ce domaine, des oliviers centenaires, devaient être abattus. Renoir connaissait l’endroit, pour y être déjà allé peindre. Pour sauver les arbres, il achète le domaine. Aux Collettes, Renoir dispose de trois ateliers. Ces ateliers sont utilisés quand il fait gris, ou quand il pleut. Sinon, Renoir peint dehors.
 
Mais dans cette grande propriété de Cagnes, le jardin ne suffit pas toujours. Depuis 1911 le peintre dispose d’une voiture et d’un chauffeur. Cela lui permet de s’éloigner pour trouver d’autres motifs, dont Pins à Cagnes. Contre toute attente et malgré une santé très précaire, il n’hésite pas à se déplacer plus loin : il voyage à Paris, à Nice, à Essoyes en Champagne dont est originaire Aline. Il séjourne encore à Essoyes en juillet 1919, cinq mois avant sa mort.
 
Ces déplacements sont d’autant plus impressionnants que Renoir est en très mauvaise santé. Aux problèmes pulmonaires et de polyarthrite s’ajoute une attaque massive en 1912, qui le fait définitivement renoncer à marcher. Il est cloué sur sa chaise roulante ou se fait transporter dans le jardin sur une chaise à bras bricolée maison. Son fils Claude dément cependant une légende tenace qui veut que l’on ait attaché le pinceau à la main de Renoir. Il était possible de le coincer, et le peintre le maintenait naturellement. Par contre les déformations étaient telles que les deux bords de la paume se touchaient : on bandait donc ses mains avec de la gaze talquée pour éviter les plaies.
 
C’est donc un véritable tour de force que l’exécution de ce tableau. Et ça l’est encore plus du fait du thème choisi. Si Renoir a peint des paysages tout au long de sa vie, ce n’est pas un sujet facile pour lui. En 1918 il avoue au collectionneur René Gimpel : « Le paysage, c’est l’écueil de la peinture. On pense parfois qu’il est gris ; ah, dans un paysage gris, souvent, que de couleurs ! »  Renoir est parfois plus truculent : «  L’olivier, quel cochon ! Si vous saviez ce qu’il m’a embêté. Un arbre plein de couleurs. Pas gris du tout. Ses petites feuilles, ce qu’elles m’ont fait suer ! Un coup de vent, et mon arbre change de tonalité. La couleur, elle n’est pas sur ses feuilles, mais dans les espaces vides. La nature, je ne peux pas la peindre, je le sais, mais le corps-à-corps avec elle m’amuse. »

Pins à Cagnes

C’est une toile de petites dimensions, acquise par Olivier Senn soit en 1935, soit en 1936. La toile est marouflée sur du carton bouilli. Les bords de la toile sont irréguliers, ce n’est pas un carton entoilé que l’on trouve prêt à l’emploi dans le commerce. Les angles présentent des trous de punaisage, visibles sur le côté droit du tableau. Anne Distel dans Renoir (Editions Citadelles et Mazenod) rapporte que de nombreuses peintures sans châssis ni cadres sont punaisées aux portes et aux murs de la maison des Collettes. C’est sans doute ce qui est arrivé à cette toile, d’avant d’être marouflée sur un carton.La matière est légère, très diluée aux bords de la toile. Celle-ci apparaît à de nombreux endroits : la couche picturale ne la couvre pas.
 
La nature peinte est celle que Renoir apprécie : sans remaniement humain. La composition est presque austère : une ligne d’horizon, le ciel, la mer, deux arbres et quelques bosquets. Le bleu est fort, méridional. Il est renforcé par sa complémentaire, un jaune chaud dans les arbres. Deux autres couleurs complémentaires dialoguent sur la toile : le rouge et le vert. Ce rouge, en lieu et place d’un brun, est intéressant. Il est très présent dans les œuvres de fin de vie de Renoir, dans les paysages, mais aussi dans les portraits et les natures mortes. Ce rouge a sa raison d’être : toute sa vie Renoir a été préoccupé par la durabilité des pigments. A la fin  il avait l’impression que même ses œuvres récentes devenaient vite plus ternes. Donc il avait recours à la teinte forte qu’est le rouge pour que les peintures, avançant en âge, gardent leur éclat. Il palliait ainsi au vieillissement des œuvres dès leur conception.
 
La touche du peintre est reconnaissable, un peu diffuse, et l’utilisation de quelques éclats blancs pour traduire la lumière est particulièrement exacte. Il se dégage de cette toile, au demeurant petite, un aspect vivifiant, une bouffée de lumière.

 
Le peintre Théo van Rysselberghe écrit à sa femme en 1918 : « son atelier est rempli de centaines (tu m’entends bien, de centaines) de peintures récentes. Il y en a de terribles, il y en a de très belles, il y en a de déconcertantes, mais de voir cet homme plein de vie, de feu, de foi et d’ardeur, mais mutilé, à demi-dévoré de gangrène, ne pouvant, ni se tenir debout, ni se servir de ses mains, qu’il n’a plus, on est confondu d’admiration et je comprends qu’après avoir vu un tel spectacle, on ait un immense respect pour une telle volonté humaine. »
 
Effectivement la dernière période de la vie de Renoir est extrêmement féconde. 720 toiles sont retrouvées dans son atelier des Collettes à sa mort. A cela il faut ajouter la vingtaine de sculptures que Richard Guino a exécutées sous sa dictée entre 1914 et 1918. Dans ses dernières années, il semble que le meilleur traitement ou dérivatif à la souffrance ait été la création et plusieurs témoignages d’amis décrivent la grande énergie, voire la quasi-transe qui l’habite quand il crée. Dans le film de Sacha Guitry, Ceux de chez nous, une séquence de trois minutes montre Renoir en 1915. Incapable d’allumer une cigarette qu’il fume pourtant avec délectation, il accueille le pinceau que lui tend son fils Claude et l’objet est si familier qu’il trouve instinctivement sa place, une sorte de sixième doigt dans cette main pitoyable. Sans l’objet, c’est un vieillard, avec l’objet il redevient un peintre.
 
Tout n’est pas merveilleux dans cette production, comme l’indique Théo van Rysselberghe. Certains critiques ont même regretté que Renoir ait peint aussi longtemps, et qu’arrivent sur le marché des œuvres de moindre qualité. A cela on peut opposer que dans le parcours d’un artiste, les toiles les plus faibles ne sont pas forcément les plus tardives. On peut surtout aussi avancer l’exceptionnelle ressource d’un homme qui perd peu à peu toutes ses capacités, sauf celles qui servent son art : la main, l’œil et l’envie. Il en résulte une force de vie qui transcende toutes les douleurs et transforme la peinture en une inépuisable source de joie, comme il l’explique à un talentueux confrère qui lui rend régulièrement visite depuis décembre 1917 : « La douleur passe, Matisse, mais la beauté demeure. Je suis parfaitement heureux, et je ne mourrai pas avant d’avoir achevé mon chef-d’œuvre ».
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Billet de blog du lundi 21 décembre 2015

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