Patrice Balvay, Le Havre / Tokyo

Dans le cadre de son rendez-vous mensuel « Musée à la carte », le MuMa accueillait récemment Patrice Balvay. Cet artiste havrais bénéficiait cet été d’une résidence à Tokyo, dans le cadre des manifestations entourant le 500ème anniversaire de la fondation de la ville du Havre. Une occasion, pour le musée, de l’inviter à parler de son travail en général, mais aussi des œuvres des collections du musée qui l’ont nourri, et de cette résidence de création.
Après une formation à Paris, Patrice Balvay s’installe au Havre. Le travail de Patrice Balvay se divise entre dessin et peinture. Le passage régulier de l’un à l’autre constitue les deux temps d’une même respiration. Il a tissé au fil des années des liens étroits avec plusieurs œuvres du Musée d’art moderne André Malraux (MuMa). Ces œuvres ont nourri sa recherche artistique, certaines déterminant même des pans entiers de son travail. Au cours d’un parcours dans le musée avec Jeanne Busato, certaines de ses œuvres seront associées avec des œuvres de la collection du musée, ce dernier étant à considérer autant comme un lieu de création que comme un lieu de conservation.
La toute première visite de Patrice Balvay au MuMa est très  brève. Entré peu avant la fermeture, il ne lui reste qu’une dizaine de minutes pour découvrir le musée. Il décide alors de consacrer ce temps à une seule œuvre. Deux petits tableaux discrets et sombres l’arrêtent : Nature morte à l’écrevisse et au citron et Nature morte aux fruits, au fromage et au pain de Sébastien Stoskopff. Les éléments de chacun de ces tableaux, au nombre de quatre, comme les coins du carré du format, se répondent, d’une œuvre à l’autre. Dans le tableau de gauche, un citron est posé. Le lendemain Patrice Balvay étale plusieurs citrons sur une table afin de les observer. Au fil des semaines, leur peau se ride, une moisissure verte, aussi fine que du pigment, les recouvre entièrement. A les regarder de près, on y voit un monde. Il les dessine. Pour rendre cette texture complexe et sinueuse, il utilise une ligne unique qu’il enchevêtre, jusqu’à obtenir une surface sombre, semblable à celle du citron desséché qu’il a sous les yeux. En l’agrandissant, le fruit devient comme un organe. Il l’agrandit à la mesure de son propre corps, sur des feuilles de 2,5x1,5 m, de manière à ce que l’on puisse contenir ces formes dans ses bras ou se lover à l’intérieur.
Dans la même salle du musée, la Nature morte aux singes attribuée à Michelangelo da Campidoglio, dont l’amoncellement invraisemblable de fruits, qui se fendent sensuellement de maturité, captive Patrice Balvay . Dans un coin, le singe, traditionnellement considéré comme la figure du peintre, regarde le spectateur avec des yeux humains. Si en dessin sa recherche se concentre sur la ligne, en peinture, il combine plusieurs niveaux de surface : la profondeur suggérée, la surface littérale du support, la surface en excès. Patrice Balvay a réutilisé un fragment de cette étrange nature morte, comme fond sur lequel des surfaces informes de couleur peau se fixent.
Patrice BALVAY (1968), Enveloppe, 2000, pierre noire sur papier, 65 x 50cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Enveloppe, 2000, pierre noire sur papier, 65 x 50cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Topologie, 2002, huile sur toile, 20 x 90cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Topologie, 2002, huile sur toile, 20 x 90cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Les plis, 2006, huile sur toile, 30 x 30cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Les plis, 2006, huile sur toile, 30 x 30cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Figure de ciel, 2002, huile sur toile, 85 x 31cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Figure de ciel, 2002, huile sur toile, 85 x 31cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Les bouts, 2007, huile sur toile, 10 x 10cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Les bouts, 2007, huile sur toile, 10 x 10cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Les bouts, 2007, huile sur toile, 10 x 10 cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Les bouts, 2007, huile sur toile, 10 x 10 cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Les bouts, 2007, huile sur toile, 10 x 10 cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Les bouts, 2007, huile sur toile, 10 x 10 cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Pierre noire XXV, 2016, pierre noire sur papier, 150 x 150 cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Pierre noire XXV, 2016, pierre noire sur papier, 150 x 150 cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Pierre noire XXV, 2016, pierre noire sur papier, 150 x 150 cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Pierre noire XXV, 2016, pierre noire sur papier, 150 x 150 cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Pierre noire XXV, 2016, pierre noire sur papier, 150 x 150 cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Pierre noire XXV, 2016, pierre noire sur papier, 150 x 150 cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968). © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968). © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Drawing by walking XII et XIII, 2016, 200 x 110 cm. © Patrice Balvay
Patrice BALVAY (1968), Drawing by walking XII et XIII, 2016, 200 x 110 cm. © Patrice Balvay
En arrivant au Havre, comme beaucoup, Patrice Balvay est impressionné par l’importance du ciel. Cette surface en perpétuelle mutation domine la ville. Comme motif, le ciel défie la représentation. Il découvre au MuMa les ciels d’Eugène Boudin. Dans ces ciels inachevés, ce dernier arrive à une très juste équivalence entre le ciel en train de changer et la peinture en train de se faire. L’infinité du sujet le conduit à opter pour la série, une série ouverte, contrairement à celles de Claude Monet, comme une variation, quasi musical, sans fin, si ce n’est l’épuisement, matériel et psychique.  Patrice Balvay reprend à son compte ce travail en séries infinies, qu’il nomme « suites ».
Patrice Balvay s’est donné comme défi de représenter le ciel, ce sujet impossible. Pour donner un équivalent de l’instabilité optique, il parsème de points l’image peinte du ciel, qui lui sert de fond. Ce travail sur la surface le conduit assez naturellement à considérer la surface du tableau comme une peau et à représenter la peau elle-même. Il choisit de représenter un corps à l’échelle 1. En travaillant sur des dimensions assez réduites, le format du tableau cadre le morceau du corps représenté : 30x30 cm de peau, en éludant le plus possible le contour, ce qui rend souvent la partie du corps choisie méconnaissable. Sans l’avoir prémédité, il peint ces peaux comme des paysages, mieux, comme des ciels. Pour cette suite, Patrice Balvay travaille avec un modèle exclusif, comme auparavant il l’avait fait avec un citron. Mais il se sert aussi de tableaux comme modèle. Il visite les réserves du MuMa pour trouver des peintures représentant des corps à l’échelle 1. Il en trouve deux : un Saint Sébastien d’après Van Eyck et Une Corbeille de fruits soutenue par des putti, d’après Rubens. L’idée de travailler à partir de ces tableaux invisibles, qui sont des variantes ou des copies, lui plaît. Il considère alors son travail de peinture, avec les nombreuses couches translucides qu’il superpose, comme une apparition fantomatique. Dans les salles du musée, un tableau, exposé en majesté, représente un corps nu grandeur nature, légèrement agrandi même : le Saint Sébastien de José de Ribera. La pâte picturale, presque sculptée à la brosse, dont l’empreinte des poils est bien visible, lui inspire plusieurs tableaux, dont certains auront la dimension d’une main. Tous ses tableaux ont des formats carrés. Il peut en varier l’orientation au cours de l’exécution. Dans les collections du musée une autre œuvre a un format carré : Les Nymphéas de Claude Monet. Ce tableau est le point de départ inconscient d’une série de grands dessins que Patrice Balvay poursuit pendant presque dix ans.
Pour cette série de dessins, il choisit un format unique d’1,5 m sur 1,5 m, à la mesure de l’amplitude de ses bras. Un format suffisamment grand qui l’oblige à se déplacer, dans une chorégraphie perpétuelle, pour dessiner. L’entrelacs d’une ligne presque unique, échafaude un espace flottant, souvent organisé autour d’un vide. Plus la ligne morcelle le blanc du papier, plus l’impression de profondeur s’accroît, jusqu’au vertige. Une évidence s’impose : les Nymphéas carrés de Claude Monet ont été le point de départ de toute cette série, sans qu’il en eut conscience. Dans cette toile, l’espace se constitue de brossages distincts superposés : les touches jaunes et violettes du premier plan semblent flotter au dessus d’une profondeur abyssale. Le cadrage découpe le paysage, nous plongeant sans garde-fou dans une perception instable, où tout se tient et en même temps tout est en suspens. Claude Monet condense dans ce tableau sa méditation sur le « monde flottant » des  estampes japonaises, qu’il a passionnément regardées.
Sentant qu’il est arrivé à la fin de cette série, Patrice Balvay cherche à poursuivre autrement son travail de dessin en grand format, hors de l’atelier. Pour mieux explorer cet acte performatif, il choisit de réaliser des dessins de marche. Le principe consiste à marcher une journée, puis à dessiner le lendemain l’impression de cette marche. Il choisit la ville de Tokyo comme cadre de cette pérégrination. Il voulait éprouver ce « monde flottant » auquel il a si longtemps pensé. La diversité des espaces urbains, leurs imbrications étonnantes lui inspirent la couleur et une manière très directe, proche de la gravure, de dessiner. En un mois et demi il réalisa 16 grands dessins, dont le format correspond à la dimension du mur sur lequel il travaille. Durant son séjour, Patrice Balvay découvre les jardins de Kamakura, qu’il perçoit comme de vastes paysages miniatures, qui suggèrent une déambulation presque immobile. Ces espaces intérieurs ont autant inspiré de dessins que les quartiers de Tokyo. Cette série récente témoigne ainsi des allers et retours entre ces deux lieux, distants et liés.
 

L'Atelier de Patrice Balvay

Pour prolonger la réflexion, le MuMa proposait par ailleurs à Patrice Balvay un atelier de pratique artistique pour les adultes. Le temps d’un week-end, il leur a proposé d’explorer le dessin à travers des consignes imaginées à partir de son expérience tokyoïte. Retour en images sur cet atelier.
EN SAVOIR +
Billet de blog du lundi 05 décembre 2016

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