L’estuaire de la Seine, l’invention d’un paysage

Les toutes premières années du XXe siècle voient un changement assez radical s’opérer en peinture avec l’abandon progressif d’une représentation naturaliste de la réalité au profit d’une réalité réinventée, ce que Raoul Dufy résume ainsi : « Peindre c’est faire apparaître une image qui n’est pas celle de l’apparence des choses, mais qui a la force de leur réalité ». Ce processus s’accompagne autant qu’il repose sur une libération de la couleur, utilisée désormais de manière arbitraire, et sur un affranchissement des règles de la perspective.
 
L’estuaire de la Seine encore une fois va être le cadre de l’une de ces révolutions picturales, le fauvisme. Si à Rouen, les artistes de l’École de Rouen, et le plus fauve d’entre eux, Robert Pinchon, prolongent encore l’esthétique impressionniste, mais en portant les touches de couleur à une intensité nouvelle, au Havre, trois peintres, Dufy, Friesz et Braque vont, eux, participer à part entière au mouvement fauve. Leur conversion est postérieure d’une année au célèbre Salon d’Automne de 1905, surnommé « La Cage aux fauves », mais ils vont entraîner dans cette aventure d’autres artistes comme les frères Saint-Delis, les collectionneurs havrais qui seront parmi les premiers acheteurs de Matisse et ses amis, et attirer au Havre certains de leurs compagnons comme Marquet. La côte normande, Le Havre, Honfleur, se parent sous leurs pinceaux, de couleurs claquantes.

L’aventure fauve s’achève vite et chacun trouvera sa propre voie. C’est le cas de Vallotton, lié aux nabis, et qui poursuit chaque été à Honfleur, entre 1901 et 1920, un cheminement singulier. Sur le motif, il n’exécute que des esquisses, voire des photographies, mais c’est à l’atelier qu’il a aménagé sur les hauteurs du petit port qu’il reconstitue de mémoire, sur la toile, le paysage, faisant preuve d’une rigoureuse synthèse et d’une grande audace chromatique.