Robert Filliou, Mesures poétiques

Robert Filliou fait partie de ces artistes éminemment actifs dans les années 1960 et 1970 et qui renouvelèrent l’approche de l’œuvre d’art.
En 1989, le MuMa acquiert l’une de ses œuvres : Mensurations.
Ce sont d’abord quatre photographies : des œuvres ? Elles sont en tout cas trace d’un moment que l’on pourrait dire performatif : Robert Filliou se met ici en scène, en quatre temps, et la photographie sera l’outil de partage du jeu de rôle. L’homme s’amuse (mais s’amuse-t-il vraiment ?) à former, à s’enformer-fermer dans des cadres. Cadres qui s’empilent, et peu à peu le cachent. Combien de cadres mesure-t-il ? On le saura presque ! A demi enfermé, l’artiste, comme s’il jouait à s’ensevelir de sable sur la plage, s’amuse de cet échafaudage de hula hoop carrés.

L'artiste définit ainsi un nouvel outil de mesure, détourne les normes utilisées habituellement, casse le système standard des unités : plus de mètres ni de centimètres, vive le cadre ! Au-delà du jeu de détournement, c’est aussi une façon de faire avec l’instant, à la manière d’un Marcel Duchamp en son temps.
 
« J’ai pensé à faire des mesurages rattachés aux critères de l’instant. Par exemple : je suis d’une taille de soixante tomates et un âge de 111 225 voyages en train de Copenhague à Paris ».
 
Le hula hoop à angles, c’est-à-dire le cadre, c’est aussi ce qui sert à l’artiste comme support de l’œuvre. Vite fait, bien fait, mal fait, pas fait, il y a cadre, cadre et recadre, mise en abîme facile et assumée, du jeu de la photographie. Et si l’image, ça n’était que ça, un jeu de mise en boîte du monde, bien fragile, bien amusant, et dont on se demande : jusqu’où ira-t-il ? La photographie est-elle notre nouvel étalon pour percevoir la réalité ? Et si nous comptons nos voyages en lieux, nos sous en francs, ne pourrions-nous pas trouver la mesure de notre monde contemporain en évaluant la quantité de cadres qui guident notre regard sur lui ? Une façon poétique (en toc) de nous interroger sur la fragilité de notre regard, fragilité de sa liberté, fragilité de sa capacité à s’amuser et à s’émerveiller.

Et cette fragilité, c’est aussi celle des moyens : bricolage, utilisation de matériaux qui se trouveraient là, sous la main… Pour dire aussi sans doute la légèreté avec laquelle il faudrait regarder tout cela ! Mais le cadre qui entoure l’œuvre est un vrai cadre : si l’objet est élaboré à l’économie de moyens et façonné à l’humour, il n’en reste pas moins une œuvre d’art… Et d’ailleurs, ne pourrait-on pas s’amuser de cela, aussi ?
 
« Rien n’est ni bien ni mal c’est simplement par l’esprit qu’il le devient. »
 

En savoir plus sur l'artiste

Proche du groupe Fluxus, Robert Filliou resta cependant attaché à une forme d’indépendance, solidaire et non pas solitaire, du fait, peut-être, de la singularité de son parcours.
C’est que Robert Filliou ne suit pas le chemin classique de l’école d’art. Il ne se destine d’ailleurs pas dans ses jeunes années à devenir « artiste ». Petits boulots qui le mènent en Californie, études d’économie qui l’amènent en Asie… la période de formation de Robert Filliou est d’abord celle du voyage, de la découverte de l’autre et de l’ailleurs.

Il commence à écrire dans les années 1950. Jetant sur le papier ce qu’il observe autour de lui. C’est une certaine distance qui qualifie l’esprit et les analyses du jeune homme, si ce n’est pas déjà une forme d’humour, cinglant, bienveillant, pacifiste.

Robert Filliou quitte l’Asie en 1954. S’en suit une période d’errance et d’écriture. Poète, dramaturge, il l’est déjà sûrement. Ces mots si importants, si fondamentaux dans son rapport au monde, deviennent sa matière première de travail d’artiste « plasticien ». Il s’agira désormais de leur trouver une forme plastique, le moyen de gagner l’espace au-delà de la page, pour rencontrer ceux à qui ils s’adressent.

Nous sommes en 1957 au Danemark, Robert Filliou rencontre l’artiste Dan Fischer qui va le convaincre de poursuivre dans cette voie. Puis ce seront Daniel Spoerri, Dieter Roth… et John Cage : avec lui, Robert Filliou s’engage dans la voie de la performance, nouvelle forme d’art qui vient trouver son apogée dans ces années 1960 et 1970.
 
« Performer », c’est se mettre en scène, soi-même, artiste, en situation, en prenant le lieu du moment, et l’instant de l’endroit pour décor et contexte. Ici et maintenant, l’artiste va jouer au comédien pour dire, faire, nous faire dire ou nous faire entendre. Chez Robert Filliou, pas d’énigme, pas d’auréole mystérieuse : direct, franc du collier, il adresse au spectateur une proposition : partager une réflexion.
Car on pourrait dire que l’essentiel de l’œuvre de Robert Filliou est une œuvre « à message », une œuvre d’engagement poétique. Plus ou moins, moins ou plus. Il joue. Il joue à nous faire marcher, à nous faire réfléchir, à nous amuser, à nous laisser tranquille.
 
Ce lien direct, en flux, tendu, vite fait, bien fait, mal fait, pas fait, prédomine dans l’œuvre Mensurations.
Billet de blog du vendredi 11 mars 2016

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