Retours multiples sur la performance « Gê » donnée au MuMa les 11 et 12 juin 2016.
Proposer une performance dans l’espace d’une exposition telle que « Eugène Boudin. L’Atelier de la lumière », ce n’est pas une évidence.
Parce que cela vient transformer, pour un temps, la vie du musée.
 
D’un côté, les visiteurs qui sont au courant, et qui viennent tout spécialement. Préparés, ils ne sont pas surpris de trouver l’espace d’une salle d’exposition modifié, occupé par un décor. Ils se laissent happer par la présence des corps des danseurs, observent, changent de place, observent de nouveau… Ils resteront le temps qu’ils souhaitent, et se feront leur propre avis.
 
De l’autre, les visiteurs qui ne sont pas au courant – et après tout, c’est bien normal, on ne peut pas être au courant de tout. Eux viennent d’abord pour l’exposition, et ne s’attendent pas à trouver l’espace d’une salle d’exposition modifié, occupé par un décor, ni à être confrontés à la présence de danseurs dans le musée.
Commence alors une drôle d’histoire : il y a ceux qui ne verront pas la performance, trop absorbés par leur désir de voir chaque tableau, et chaque détail de chaque tableau. Il y a ceux qui pesteront car, oui, leur trajectoire, celle qu’ils avaient projetée dans le musée sans même s’en rendre compte en ayant le projet de venir voir cette exposition, sera perturbée. Ils ne circuleront pas « comme d’habitude », ils devront faire attention au décor, ils seront peut-être gênés pour voir une œuvre. Il y a ceux enfin qui se laisseront gagner par le jeu de la surprise et deviendront, pour un moment, spectateurs de la performance, avant de retourner à leur premier objet : Boudin.
 
En réalité, ce n’est donc pas si simple d’être un visiteur dans un musée. Surtout quand celui-ci a pour habitude de proposer des moments comme celui de «  ». D’un coup, on devient conscient de sa circulation, de la présence de son propre corps dans l’espace. La performance nous oblige à nous positionner autrement par rapport aux autres, par rapport aux œuvres.
«  », dans un certain sens, nous aura, à nous, équipe du musée, permis de vous proposer de prendre conscience de ce que c’est que d’être « un visiteur ».
 
Mais ce n’est pas tout : «  », c’est aussi une performance qui raconte quelque chose. A sa façon, sans mot, et en mouvement. Tout ce que nous avons entendus ces 11 et 12 juin derniers, toutes vos réactions de visiteurs-spectateurs nous ont touchés. Vous y avez vu des arbres, des fœtus, du végétal, de l’animal, du minéral… Vous avez parlé d’énergie, de cycle, de vie… Vous avez ressenti l’enfermement ou la liberté, la fragilité ou l’assise. Vous avez vu les tensions des corps, les tremblements, la concentration. Vous avez imaginé une sculpture en train d’être façonnée par un sculpteur invisible, ou un être humain qui ferait le parcours de sa vie en accéléré… Vous vous êtes posé mille questions, et vous vous êtes laissés emportés par la boucle à la fois vertigineuse et méditative de «  ».
 
Et « Gê » au musée, c’était aussi pour tout cela. Parce qu’autour, les images d’Eugène Boudin se situent au croisement de toutes ces idées et de toutes ces émotions que vous avez traversées. Peintre libre et indépendant, il inventa et construisit son propre chemin. Cette longue route fut faite de lignes droites, de courbes, de retours en arrières, de prises d’élan... Et la progression de doutes, d’hésitations, d’inspirations, d’affirmations. Ce qui l’animait au plus profond de lui ? Le sentiment de nature, la vivacité des nuages, la furtivité du vent, le cycle des saisons, le jaillissement de la lumière. Et cette attention au vivant, elle anime, aussi, «  » de bout en bout. Elle est ce que nous avions envie de partager avec vous, d’une manière certes singulière, mais dans l’espoir de vous la faire vivre autrement, comme en résonnance avec les œuvres de celui qui occupe nos pensées et nos journées ces temps-ci, ce cher Eugène.

De l'intérieur...

Elias Girod, l’un des deux danseurs à s’être passé le relais pour vous proposer la performance «  », revient « de l’intérieur » sur ce que cette expérience a représenté pour lui :
 
« Se laisser surprendre par le mouvement d’un corps de danseur, comme Boudin se laissa surprendre par le mouvement des nuages.
J’entends le bruit des gens qui circulent et commentent. Par moment, je repère des mots ou des phrases entières. Les visiteurs sont là de passage, moi je suis là du matin au soir pendant quatre jours. Je regarde, je me repose, je bois de l’eau,  je m’échauffe, je me promène, je discute, je me concentre, je m’installe au sol sur mon carton et je parcours la chorégraphie.
 
De temps en temps j’ai l’impression d’être invisible. Les gens me tournent le dos pour mieux voir les tableaux. Je le sens mais je ne le vois pas. Je repère juste un bout de leurs chaussures et de leurs chaussettes quand j’ouvre légèrement mes yeux pour me repérer dans l’espace. Je ne fixe rien ; je lance un regard pour m’assurer de la perception du toucher que j’ai de l’espace.  Où suis-je par rapport aux colonnes et par rapport au microphone du centre qui déclenche des bandes sonores... Les gens autour de moi deviennent une masse avec un afflux de mouvement autre que le mien. Ils sont dans une autre temporalité parallèle à la mienne.  Je sens aussi qu’ils sont bien loin – d’ailleurs les colonnes aussi semblent s’éloigner de moi. Plus je bouge lentement, plus les distances augmentent. J’avance vers le centre et le trajet d’un mètre me paraît interminable. Je constate que je suis en train de planifier ma trajectoire au lieu d’être à l’écoute du moment. Le potentiel de l’instant se ramène à un choix qui devient un plan et une direction. Pour mettre en question ce plan, je fais un scan de mon corps et je déplace mon attention vers l’espace que je crée en glissant mon omoplate et vers le transfert de poids que cela crée aux genoux et aux doigts de pieds.
 
Je sens une petite tension à la cuisse droite. J’aimerais m’étendre. Le carton est mou sous mon visage. Je prête attention à l’inégalité de sa texture et à son odeur… oui, surtout à son odeur.
Les récepteurs sous le carton repèrent le bruit des pas des visiteurs et déclenchent des sons d’arrachements. Ces sons me font penser à des sons parvenant de l’intérieur du corps. Les muscles autour du tube digestif et de l’estomac se tendent, les poumons s’élargissent et la salive coule le long de l’œsophage. L’extérieur devient l’intérieur et vice versa. Comme si c’était mon corps qui produisait tous ces sons qui viennent des enceintes.
Première journée de au Havre. Je passe à un dialogue avec l’impressionnisme de Boudin, je passe par ici et par là, et je passe du temps. »

Chorégraphie : Gaël Sesboüé
Interprétation : Elias Girod, Gaël Sesboüé
Dispositif sonore : Vincent Raude
Assistante : Betty Tchomanga
Production / Diffusion : Lucie Vignal
"Gê". © MuMa Le Havre 2016
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"Gê". © MuMa Le Havre 2016
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"Gê". © MuMa Le Havre 2016
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"Gê". © MuMa Le Havre 2016
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"Gê". © MuMa Le Havre 2016
"Gê". © MuMa Le Havre 2016
"Gê". © MuMa Le Havre 2016
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"Gê". © MuMa Le Havre 2016
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Billet de blog du mardi 05 juillet 2016

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